L'Abeille

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Groenland – 6 juillet 2016 – Narsasuaq

Ici, en cette période, le soleil ne se couche pas. La nuit ne se fait remarquer que par les aiguilles d’une montre et au travers d’une luminosité légèrement diminuée l’espace de quelques instants.

 

Où qu’on aille, il n’y a personne. Les quelques 55 000 personnes qui occupent ce territoire grand comme l’Europe se regroupent dans de petites villes, sans âme ni charme. Malgré des couleurs chatoyantes, les maisons semblent tirer leurs lignes de containers. Les Inuits se cherchent une nouvelle culture car, alors qu’ils étaient autrefois chasseurs, cet art et style de vie tend à disparaître et il faut se retrouver. Mais, aujourd’hui, les possibilités ne sont que trop inexistantes et l’alcool demeure un exutoire bien trop facile, surtout pendant ces longs mois où la nuit enveloppe les esprits tout autant que la nature. Certes, le grand frère danois fournit un important support mais, ici, comme dans bien d’autres endroits du globe, les velléités indépendantistes sont des graines ne demandant qu’à germer. Mais comment faire ? À l’heure actuelle, les ressources ne sont que trop faibles, les routes n’existent pas et seuls bateaux et hélicoptères permettent d’assurer les liaisons entre peuples. Alors que les touristes, pourtant courtisés, peinent à vouloir se confronter au froid polaire qui, pourtant, lorsque le vent sait se montrer clément, se fait oublier.

 

Mais revenons à l’essence même de ce pays, la Nature, car c’est ici que cette dernière s’exprime le plus. La fonte des glaces est une réalité qu’on observe à l’œil nu et il est impressionnant de voir comment chaque petit espace, autrefois recouvert de froid, une fois dégagé, est assailli par de l’herbe et quelques fleurs. Une vraie colonisation naturelle en direct. Le blanc disparaît, le vert surgit ; c’est immédiat, flagrant, vivant. Et qui dit « vert », dit vie. De gros lapins blancs, tirés d’Alice au Pays des Merveilles, se délectent d’herbe fraîche, tandis que de petits renards les regardent avec envie, sans pour autant oser les poursuivre tant leur taille est inférieure. Des bois de caribous parsèment les sols et il n’est pas rare de les voir, eux ou leurs cousins les rênes, s’abreuver dans les nombreux ruisseaux et étangs qui parsèment le paysage. Le Groenland est également le nid d’infinis, infimes et infâmes moustiques et mouches, qui ne manquent pas une occasion de rappeler leur trop courte existence à chaque visiteur en l’accompagnant dans chacun de ses mouvements et en profitant du moindre bout de peau disponible. À se promener avec des moustiquaires sur la tête, chaque touriste ressemble à une jeune mariée…

 

Cependant, il ne faut pas espérer croiser une faune abondante. Les mythiques ours restent loin de tout, et c’est mieux pour eux, car toute incursion en territoire humain est synonyme de mort. Parfois, quelques phoques et, semble-t-il, une baleine ici ou là. Mais on ne vient pas pour faire un safari. Il faut se « contenter » de la beauté naturelle de ces côtes usées par la glace et le froid, contempler ces arrêtes de rocher qui plongent à pic dans des eaux limpides, et écouter, apprécier et aimer ce silence qui enveloppe et ensorcèle.

 

Sur l’eau, les icebergs habillent et dominent une eau bien trop froide. Cathédrales de glace, parfois âgées de plusieurs millions d’années, on les croit toujours vivants, tout en sachant que leur dérive n’est que le signe d’une lente agonie. Une fois libéré du glacier, ils errent au gré des vents et des courants, perdant à chaque instant un peu de leur consistance. Les jours et les nuits sont rythmés de leurs craquements, des blocs qui s’effondrent dans l’eau, contribuant à l’amenuisement de leur taille, afin de ne devenir plus qu’un simple glaçon, qui finira lui-même par disparaître, reprenant une forme liquide connue il y a bien longtemps.

 

Et, pourtant, chaque seconde passée, tout en étant imprégnée de sérénité, ne cesse de nous rappeler que nous, humains, n’avons pas d’autres ambitions que de détruire ce qui nous est offert, car cette fonte, bien que cyclique, n’a jamais connu une telle accélération qui paraît irréversible. Peut-être qualifierons-nous un jour, dans probablement « pas si longtemps », le Groenland comme le paradis blanc perdu. Est-ce que nous serons capables de préserver cet héritage et de le transmettre ?

 

Et, comme une image vaut mille mots, quelques photos de cet îlot de beauté ont été déposées dans la rubrique afférente.

 

À bientôt,

 

L’Abeille



15/07/2016
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