Soudan - El Obeid - 4 juillet 2025
Plus de 1500 km séparent Port-Soudan de la ville d’El-Obeid, en passant par le sud (Kassala – Gedaref – Sinja – Kosti pour les amateurs de cartes).1500 km d’une route chaotique où s’exposent les vies de millions de personnes vivant au rythme d’un conflit qui les dépasse.
Un conflit qui décide pour eux ce que sera — ou ne sera pas — leur vie.Revenant ou partant, les routes sont remplies de camions chargés de vies faites d’espoirs ou de peurs.
Enfants, femmes, hommes, nouveau-nés ou anciens, ils sont des milliers, entassés à ne plus respirer, leurs corps rythmant les aspérités de la route, se dirigeant vers un nouvel inconnu, les yeux scrutant l’inhabituel sans chercher à le juger, mais à le raconter. Leurs richesses s’étalent de chaque côté des remorques dans lesquelles ils voyagent. Quelques jerrycans et bassines en plastique constituent tout ce qu’ils ont pu acquérir ou sauver. Une fois sur place, ils trouveront de quoi faire quelques huttes. En cette saison des pluies, ils vivront dans une boue noire, dense et lourde. Plus tard, ce sera la poussière et la chaleur.
Ils traversent pourtant un pays où un rien suffit à faire beaucoup. Tout au long de la route s’étalent d’immenses plaines cultivées au rythme des saisons, coupées parfois par les eaux de quelques canaux, du Nil Bleu ou du Nil Blanc. Des collines de rochers ici et là, mais c’est surtout la plaine qui s’étend à perte de vue. Infinie et insaisissable, on ne sait où elle s’arrête et où commence le ciel. Et là encore, ce qui est un atout pour cultiver devient un problème pour résider. Plusieurs mois par an, les eaux inondent tout, forçant les millions de vaches, moutons, dromadaires, reptiles — et bien sûr humaines et humains — à s’élever de quelques mètres, quand cela est possible. Les trop rares bouts d’asphalte deviennent alors un refuge naturel, mais on ne compte plus le nombre de charognes bordant les routes, happées de leur vivant par des monstres d’acier et de marchandises qui parcourent a toute vitesse l’immensité.
Trop peu connu pour sa guerre, encore moins pour sa culture, le Soudan, continent au sein d’un continent, paraît oublié de tous, sans même pouvoir compter sur lui-même. Il semble que, depuis toujours, pas un instant le pays n’ait été épargné par une guerre fratricide, s’étendant aujourd’hui à tout le territoire. Les nouvelles technologies, telles que les drones, ne laissent aucun répit, où que l’on soit, forçant chacun à s’adapter pour se protéger. Dans les villes, les nuits sont noires, car toute source de lumière pourrait attirer un de ces objets volants meurtriers. Les avions civils ne dorment plus sur les tarmacs soudanais, de peur de ne jamais pouvoir retrouver le chemin des airs. Chacun évite la proximité de cibles possibles a sa manière (…).
Et pourtant, les choses simples de l’humanité continuent ici de s’exprimer au travers de gestes du quotidien. Celui-là a oublié ses billets pour payer son charbon : il part avec sa marchandise et reviendra un autre jour pour payer. Celui-ci est mort, ses compagnons apres avoir organisé une longue veillée, avec qui il jouait aux cartes tous les soirs, laissent sa chaise vide, avec un thé chaud à sa place, ne pouvant se résoudre à accepter l’inévitable. Ceux-là n’ont plus rien, et les plus fortunés achètent toujours plus pour leur en laisser une part, que ce soit aux marchés ou aux restaurants.
La vie s’écrit au travers d’une violence institutionnelle, mais également par une charité humaine étonnante.
Tout y est grand, profond, sincère — et pourtant si dur.
Quelques photos ajoutées.
À bientôt,
L’Abeille
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