L'Abeille

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Afghanistan – 2 – 8 mai 2009

Doucement, Kaboul commence à prendre vie. Ses rues, ses dédales, il y a quelques jours inconnus, commencent à éveiller en moi des souvenirs, des réflexions du type « je connais, reconnais », non sans en ressentir une certaine fierté. Et, pourtant, je me satisfais de peu : sur les milliers de rues et avenues que compte cette capitale, je me suis vraiment habitué à quatre ou cinq d’entre elles. Et encore !

 

Kaboul est une ville étonnante. On y côtoie quotidiennement toute la misère du monde et la beauté de l'humanité. Contraste qui ne peut nous laisser indifférent.

 

À chaque pays, son lot de malheureux. Ici, on les trouve mendiant dans la rue, assis au milieu de la chaussée, tendant la main ou offrant quelques services comme la vente de cartes téléphoniques. Ils sont là, quelque soit l’heure du jour ou de la nuit, fidèles au poste telle une sentinelle derrière son créneau. Mais, d’un autre côté, la solidarité est partout ; le rire, l’humour et la fraternité sont quotidiens. Cette ville est habillée de couleurs qui ne peuvent que nous faire vibrer.

 

L'espérance de vie est assez faible et, le nombre d’enfants par famille étant important, la rue est le terrain de jeux quotidien de centaines de bambins qu’on trouve plus souvent avec le sourire aux lèvres que les larmes aux yeux. Et chacun dispose de quelques astuces pour glaner des afghanis (monnaie afghane). Ils vendent des lunettes de soleil disposées sur des cartons deux fois plus grand qu’eux, proposent des cartes routières de la ville, ou encore vous offre un lavage intégral de votre voiture.

 

Pour ce dernier point, le schéma est assez simple. Il suffit de se garer le long d’un trottoir où ces minots officient. En quelques secondes, éponge à la main, ils se précipitent sur le véhicule pendant que certains filent chercher de l’eau dans... les égouts. Le lavage s’effectue avec attention et vigueur et, en quelques tours de bras et d’huile de coude, le véhicule peut reprendre sa route. Flambant neuf quand il est encore humide, l’eau de lavage quelque peu douteuse fait vite son effet et le véhicule une fois sec est plus sale qu’avant son brushing. Il faut donc retourner le laver. Après tout, c’est une technique de fidélisation comme une autre. On devient vite dépendant du lavage pour garder un certain prestige « automobile ».

 

Ici, les anciens sont respectés comme l’exige leur rang. Peu de choses se font sans leur accord et, quand on les voit évoluer dans la rue, une véritable aura mélangée à une certaine noblesse se dégage d’eux. Ils imposent le respect et la sagesse. On pourrait les considérer comme étant l’antiquité du pays, tant les transformations récentes de ce pays (depuis 40 ans) ont été fortes et violentes. Ils étaient, pour certains d’entre eux, aux premières loges, d’un côté comme de l’autre, et ont vu passer ce qui paraît par moment inimaginable.

 

Avec l’été qui doucement émerge à travers les cimes, la poussière commence à devenir reine dans les rues. Le soir, les phares des voitures donnent l’impression de rouler dans une autre dimension, les faisceaux de lumière se décomposant dans le noir intense des nuits afghanes. Dès que le jour se lève, en quelques heures, l’atmosphère passe de limpide à une épaisse brume, mélange de particules et de pollution qui domine la ville, l’enveloppant tel un dôme protecteur. Et cette même eau, qui, quelques minutes auparavant, servaient à laver les carrosses des temps modernes, se retrouve jetée maladroitement mais régulièrement sur la route, dans le but de fixer les millions de particules au sol et de diminuer les effets incommodants de la poussière. Bien qu’illusoires, ces quelques mouvements semblent être tous coordonnés par un même chef d’orchestre invisible, guidant ce balais peu commun.

 

La ville est un mélange de ruines dues aux différentes guerres, de bâtiments neufs, d'immeubles soviétiques, de vestiges des temps anciens, de maisons en terre aux volets en bois sculpté et de mosquées. On pourrait presque y lire son histoire en regardant son architecture. Un bazar peu commun mais, en y regardant de plus près, on pourrait presque y trouver une certaine harmonie, peu ou pas esthétique, mais qui confère à la ville une atmosphère unique. Et, malgré les restrictions que je peux imposer (de par mon poste) mais que je subis tout autant, on peut toujours trouver quelques fenêtres s’ouvrant sur cette nature (humaine) afghane.

 

Le bazar reste un centre de vie incroyable. Dans une marée humaine où se mêlent quelques rares femmes en burqa bleu, des hommes sans âge, des riches, des pauvres, des artisans se côtoient le long de centaines d’échoppes faisant aussi bien des tapis que des articles de bouzkachi, des armes que des animaux, des produits de consommation et autres biens, du moment qu’il y a quelques afghanis à glaner.

 

J'en profite pour revenir sur ce dernier point. Dans une rue appelée Bird Streets, on y trouve un nombre d’oiseaux inimaginable. Mais le plus intéressant est qu’en y fouillant de plus près, sous un amas de bâches, se cache un vendeur peu commun. Quand on gratte le long des parois plastiques de son abri de fortune, seul son bras sort avec, au bout de celui-ci, une tortue. Bon... Il prend doucement confiance après avoir jugé notre réaction et, d'un seul coup, plus rien ne l’arrête. En l’espace de quelques minutes, il me propose d'acheter (tout en me les montrant) un renard, un faucon, un aigle et, pour terminer, une chouette. Un véritable zoo défile devant mes yeux, pour finalement comprendre que cet homme est peut-être l’animal le plus étrange de cette ménagerie. Il y vit avec ses animaux et ne sort que la nuit.

 

Les petits restaurants « kebab » afghans ont également un charme incroyable. Plus que des restaurants, ce sont des lieux de vie, de partage et de convivialité. On y mange à même le sol, sur des bouts de nappes cousus à la va-vite. Alors qu’ils sont tous alignés en rang d’oignons à déguster le même plat, les discussions s’enchaînent facilement entre voisins et, bien que le dari (langue perse) reste pour moi incompréhensible, on arrive à trouver des terrains d’entente et de compréhension. Les gestes tout comme les expressions et le rire restent universel.

 

Comme dans tous ces pays, les images ne manquent pas. On passe du cordonnier assis dans une petite carriole réparant les chaussures, au coiffeur de trottoir qui, assis sur un coussin à même les pavés, rit de bon cœur avec ses clients, les deux étant liés l’un a l'autre par un long tablier bleu. Des pans entiers de viande dansent le long des boutiques, les têtes originales des vaches ou des moutons fraîchement tués forment une haie d’honneur au quidam désirant se rendre dans la boucherie, tandis que le voisin expose fièrement des dizaines de petits jouets en plastiques, tous aussi kitchs les uns que les autres et arrivés par camion entier du Pakistan. Il y a encore deux ans, l’Afghanistan ne disposait pas de ces biens de consommation « secondaires » et les gamins des rues se servaient de leur imagination pour créer des jeux qu’on ne retrouve aujourd’hui plus qu’au fond des quartiers pauvres ou dans les campagnes... Une planche et un patin à roulettes donne une luge d’été pour deux ; on retrouve le classique pneu accompagné de son bout de bois et bien d’autres encore. Mais, ici, si on est enfant, on dispose d’un cerf-volant et on s’en sert... Même si la saison est passée (pendant l’hiver majoritairement), dès qu’on lève un peu la tête, de nombreuses formes noires se détachent dans le ciel, dansant langoureusement avec les vents qui les portent et les bercent.

 

Chance de mes activités, je me retrouve également à me déplacer chez les sénateurs de certaines provinces ou chez des seigneurs de guerre qui, désireux de s’attirer les faveurs de leurs populations situées loin dans le pays, nous sollicitent. On est alors reçu dans de fastueuses maisons afghanes, où nos hôtes sont d’une rare beauté. Leur fonction est, en général, proportionnelle à leur âge et, habillé d’une chawar kamis, d’un turban et d’un patou (je vous laisse chercher ce que c’est), ils parlent et nous écoutent tout en lissant une longue barbe le plus souvent blanche. Sans oublier le thé, les biscuits et bonbons qui se doivent d’être servis à tout visiteur. Le tout assis en tailleur sur d’épais coussins. Toujours accompagnés de serviteurs, qui prennent soin d’eux, de nous, on discute tout en regardant la télé ou en répondant au téléphone. Certains poussent le vice jusqu’à avoir dans la main une petite télécommande visant à faire revenir le serviteur lorsque nous sommes en manque de thé ou de bonbons. De bons moments, de grands souvenirs...

 

Ces images me font assez facilement oublier la guerre qui règne ici. Mais, tel un soldat fidèle à son poste, elle ne manque pas de se manifester, que ce soit par les interminables bourdonnements des hélicoptères de combat au-dessus de la ville, les jets qui, sans se faire voir, savent se faire entendre, les convois de blindés qui sillonnent la ville sans jamais s’arrêter, et les multiples fantassins qui doivent avoir au moins leur poids en équipement.

 

Et, comme si ca ne suffisait pas, les tremblements de terre sont monnaie courante. Pour un tremblement de terre dont vous entendez parlez dans l’hexagone, il s’en passe quatre de plus ici. Hormis le fait plus qu’étrange de sentir que tout bouge autour de soi, la population n’a pas forcément besoin de ça pour aggraver son malheur.

 

Et, pour terminer sur une note de culture afghane, il faut bien évoquer les mariages. Tout d’abord, le principe est assez simple : il suffit d’inviter le plus de personnes possible (la famille, les voisins, les amis, les amis des frères et sœurs, les collègues de bureau, j’en oublie au moins 80 %), puis de réunir tout ce petit monde.

 

On affrète ensuite des voitures, des bus, des camions et on se déplace forcément en convoie, à 4 km/h pour bien se faire remarquer et boucher l’unique voie d’accès (je reviendrai sur la circulation plus tard quand j’aurai fait semblant d’y comprendre quelque chose). On place une première voiture (type break), on ouvre son coffre et l’on y rentre au bas mot quatre musiciens avec les instruments, allant du pipo (ça, ça rentre) au tambour aussi gros qu’un fut d’essence (là, ça prend un peu plus de place) et recroquevillés les uns sur les autres, les musiciens commencent à officier. On arrive à entendre quelque chose quand la voiture est à l’arrêt mais, dès que le convoi se met en route, c’est une autre histoire. La seconde voiture est celle des mariés qui, décorée de fleurs en plastique, de lumières la faisant ressembler à une piste d’aéroport et de dentelles, doit se dire que les musiciens (qui ne s’arrêtent pas de jouer) de la voiture de tête ne jouent pas assez fort. Du coup, les mariés ouvrent leurs fenêtres et mettent l’autoradio à fond, tandis que les bus et autres engins en tout genre transportant les invités et, non contents de dégueuler d’occupants, klaxonnent à s’en rendre sourd. Quand vous avez 400 invités, ça fait un paquet de véhicules. Mais ça ne répond pas à la question que tout le monde se pose : à quoi servent les musiciens à part à la décoration ? Ils pourraient ne faire que du play-back, moins fatiguant pour les humains et moins usant pour les instruments.

 

La réception se passe soit dans une propriété privée, soit dans ce qu’on appelle ici les halls de mariage. Et c’est dans ce dernier que j’ai passé une soirée. De l’extérieur, il s’agit d’un immense cube posé sur le sol, revêtu de centaines de lumières type « Las Vegas », où même les arbres du parking deviennent des ampoules vivantes. L’intérieur est également dans des teintes lumineuses des plus étonnantes : mélange d’immenses lustres rococo et d’appliques murales blanches, sur un espace total avoisinant les 1 000 m2, des rideaux verdâtres et une moquette aux motifs et couleurs incompréhensibles. Au centre de la salle, deux scènes se font face avec, sur chacune d’elles, un groupe jouant à tour de rôle et des enceintes hurlant les paroles et instruments. Au final, on retrouve les mêmes problèmes partout : les vieux hurlent que c’est trop fort et filent vers le fond de la salle ou essaient de débrancher les enceintes tandis que les jeunes se scotchent devant.

 

Répartis sur toute la salle, des dizaines de tables de dix personnes pour les invités qui ne sont que des hommes (le plus grand club gay qu’il m’ait été donné de voir) occupent le reste de l’espace. Les femmes vivent la même chose que nous mais dans une autre salle à côté de la nôtre ; je n’en saurai pas plus. En attendant la nourriture, on se fait tous face, on se parle peu, parfois on subit la musique et on attend, on attend, on attend... Et puis, comme par magie, des dizaines de serveurs arrivent, déroulent sur la table un grand morceau de plastique, sortent de dessous la table les assiettes et quelques couverts, jettent (c’est bien le mot) deux grands plats de riz, des assiettes de viandes, des canettes de soda et s’en vont. On se sert tous, on partage sans souci et on attaque le repas, tandis que la musique s’est tue, laissant place à un grand moment de bonheur où l’on échange, on rit et on se fait des blagues (les miennes sont toujours aussi mauvaises mais, eux, très polis, font semblant d’apprécier)... Les vieux en chapan et turban se mélangent aux jeunes vêtus à l’occidental, les visages imprégnés d’histoire s’harmonisent avec ceux qui ne savent pas ce que sagesse veut dire.

 

Le dîner se termine, nos serveurs reviennent, retirent les deux plats, puis, d’un geste sûr, ôtent le plastique avec tout ce qui se trouve dessus et filent vers les cuisines, d’où nous ne les reverrons plus. Et c’est reparti pour les orchestres et tout le monde (environ dix personnes à tour de rôle) s’expriment sur la piste de danse. Les danses afghanes consistent en un ensemble de gestes racontant une histoire particulière, alors autant vous dire que, quand je m’y suis attelé, j’ai plus dû raconter un Oui-oui qu’un Victor Hugo car faire des entrechats, les bras en croix et paumes vers le haut, ce n’est pas encore ma spécialité (mais j’y travaille).

 

Une brigade de soldats s’est invitée pour fouiller toute la salle, ce qui n’a pas semblé émouvoir la moindre personne. Il paraît que ça fait parti du décor. Perso, je ne me vois pas me marier avec 40 soldats armés jusqu’aux dents qui vont jusqu’à fouiller sous les tables.

 

Et, comme dans tout mariage, on a le droit au cameraman. Sauf que celui-ci vous fixe pendant 20 minutes, avec son assistant qui vous jette au visage son projecteur vous faisant suer en raison de la chaleur dégagée. Ils ne font ensuite pas de montage et donnent en vrac la vidéo aux mariés. Je ne suis pas très chaud pour me faire une soirée vidéo sur le mariage. Six heures à regarder des gens qui font semblant de ne pas avoir vu la camera ? Quoique, ce sera peut être pas mal au moment de regarder le film pris chez les femmes !

 

Aux dires des anciens, ce type de mariage n’existait pas il y a 20 ans. Mais les Afghans revenus d’exile du Pakistan ont apporté avec eux ces nouveaux us.

 

Sur ces quelques lignes,

 

À bientôt,

 

L’Abeille



08/05/2009
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