L'Abeille

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Afghanistan – 8 – 10 janvier 2010

Direction Chaghcharān, une des rares « villes » qu’on peut trouver sur une carte à grande échelle de l’Afghanistan. Bourgade de 12 000 familles perdues au milieu des montagnes afghanes, en plein centre du pays.

 

Le petit coucou que je viens de prendre à Kaboul survole pendant une heure des montagnes enneigées à perte de vue, perdues entre deux couches de stratus, et autres phénomènes météorologiques se terminant en « us ». Vision surréaliste que celle de ces vagues de neige se découpant sous l’écume des nuages sans jamais s’arrêter. On survole un désert blanc, fait de neige, de glace et de froid…

 

La piste s’ouvre alors devant moi. Complètement enneigé, l’avion se pose en douceur et glisse tout du long de celle-ci pendant que le pilote contrôle avec finesse les quelques dérapages de l’appareil.

La porte s’ouvre et, là, le froid nous saisit, nous happe d’un seul coup. On est sous la barre des -10 degrés et, pourtant, il paraît qu’il fait chaud pour la saison.

 

Il n’y a pas neigé depuis quelques semaines, la ville offrant un mélange de boue et de neige et, lorsque la terre apparaît, on retrouve cette couleur brune et rouge si typique des montagnes afghanes. Par contre, à quelques kilomètres se dessinent à nouveau ces mêmes montagnes précédemment survolées, d’un blanc pur et qui me font attendre avec impatience le départ du lendemain.

 

Ça y est, la route s’ouvre enfin… Progressivement, la piste, qui a été dégagée aux abords de Chaghcharān à la force des bras (le chasse-neige n’existe pas ici), se transforme en glace, puis en neige. Les roues s’enfoncent de plus en plus et, au bout de quelques kilomètres, on est obligé de sortir les chaînes, malgré le fait que nous soyons dans un 4*4. Nous montons laborieusement jusqu’à la passe de Bande-Payan, à 3 200 mètres, et arrivons enfin sur les hauts plateaux de la région où je vais passer quelques jours (non, je ne suis pas en vacances…).

 

Nous croisons très peu de voitures, ou alors certaines complètement embourbées, qu’à force d’efforts nous sortons de là, qui nous sortent de là. Le froid se fait de plus en plus sentir dès qu’on met le nez dehors et, bien que le soleil soit à son zénith, nous avoisinons les -20 degrés. On traverse des villages qui ont la chance d’être desservis par la route et l’on en aperçoit d’autres qui, eux, n’ont qu’un sentier pour les rallier. Les habitants restent chez eux tout l’hiver, attendant que ce dernier passe, ou, dès que le temps le permet, ils prennent leur âne pour aller vendre des brindilles, indispensables pour se chauffer, à ceux qui n’en ont pas et en profite pour revenir avec quelques provisions.

 

Les « riches » se chauffent avec un poêle à brindilles ; les pauvres font des braises à l’extérieur qu’ils rentrent ensuite dans la maison ou mettent en place un système de conduction de chaleur à l’aide de conduits en terre cuite. Pour économiser au maximum, tout se passe dans une pièce (à l’exception de la cuisine) et, de jour comme de nuit, on reste autour de la source de chaleur. Seules les toilettes restent à l’extérieur mais ça, j’en parlerai un peu plus tard…

 

Où qu’on aille, les paysages sont blancs. La piste se démarque très difficilement et, après de fortes chutes de neiges, il faut parfois attendre plus d’une semaine pour que celle-ci soit à nouveau « praticable ».

 

Le long des pistes, on croise toujours venu de nulle part un Afghan qui va on ne sait où, à pied, avec son âne, ses ânes, son cheval ou sa vache. Quelques bandes de chiens errants courent après la voiture dans l’espoir de glaner quelques nourritures. De temps en temps, des renards ou autres lièvres nous font le plaisir de détaler sous les roues, mais les autres animaux ne sont pas assez fous pour mettre le nez dehors, eux…

 

Les voitures souffrent tant et plus dans ces conditions. Passés les embourbements à répétition, les gués glaces qui se cassent sous le poids de ces dernières, ce qui parfois nous oblige à patauger dans 50 centimètres d’eau gelée pour accrocher un câble afin de sortir, le froid pendant la nuit est pire que tout…

 

En arrivant le soir à la base, on installe des cartons sous les roues, pour éviter que celles-ci ne soient collées au sol par le froid, et l’on habille la voiture d'une bâche censée lui servir de couverture. Deux fois par nuit, les chauffeurs se lèvent pour démarrer le moteur et éviter ainsi que tous les fluides ne gèlent, ce qui nous berce tranquillement pendant plus d’une demi-heure. Le matin, il faut encore faire du feu sous le moteur pour le réchauffer ; on arrose allègrement d’eau chaude les roues car les freins sont gelés et il n’est pas rare que, malgré les cartons mis la veille, il faille attaquer le contour des roues à la pioche pour briser la glace qui s’est formée pendant la nuit.

 

Le rythme des Afghans est assez simple pendant l’hiver et, de toute façon, étant à six ou sept (hommes bien sûr) dans une pièce de 15 m2, on n’a pas d’autres choix que de s’adapter. Vers 5 h 30, on est debout. On ne se parle pas, on se rapproche doucement du poêle, en attendant qu’on soit réellement tirés de notre sommeil. On se lève laborieusement, les yeux eux aussi collés, on range sa couverture rouge (décorée de délicieux motifs de roses et pétales), on plie son touchak (long coussin qui sert de siège et de lit) et l’on fait chauffer l’eau pour le thé. Pendant ce temps-là, on passe dans la pièce voisine et, miracle de la technologie, un poêle équipé d’une réserve à eau sur le dessus permet d’avoir de l’eau bouillante, qu’on coupe avec de la neige… Le plus dur est finalement d’arrêter de s’asperger, car le froid sort à nouveau ses griffes.

 

Le petit-déjeuner est fait de thé, de pain, et parfois de deux œufs (mais c’est rare) ; le déjeuner de riz et de quelques morceaux de viandes ; et le dîner d’à peu près la même chose. Le soir, quand on a la télé (et le générateur ou les panneaux solaires qui vont bien), on se gave de séries indiennes mal doublées, où les acteurs surjouent et passent leur temps à courir après un amour qu’ils ne trouveront qu’à l’épisode 14 132. Et surtout, surtout, le moindre petit bout de peau féminin est archi flouté. J’EN PEUX PLUS. Même à la télé, pas moyen de se rappeler les délices visuelles du corps féminin…

 

Toujours est-il que le plus dur est à venir : aller aux toilettes. C’est un sujet qui peut paraître un peu déplacé mais je vous assure que c’est une vraie expédition de tous les jours. Évidement, on n’y pense pas dans la journée, quand il ne fait « que » moins 15 mais, quand la nuit arrive, on se dit qu’il serait peut-être temps d’y faire un tour. Et c’est alors que je regarde à l’extérieur avec tristesse, que je vois ces quatre murs de terre sans toit, une bâche servant de porte, avec les larmes dans les yeux. Je mets péniblement mes chaussures et après m’être frotté contre le poêle pour grappiller un peu plus de chaleur, je franchis les 50 mètres qui me séparent du trône, ou plutôt du trou, en courant… Et se retrouver accroupi, les fesses à l’air, par moins 25, est une expérience que je ne souhaite à personne. On a beau avoir les étoiles qui nous servent de toit, on ne veut pas s’attarder de peur de rester coincé par le gel, et l’on ne fait que rêver de s’assoir sur un poêle bouillant. Une fois « la chose » finie, on ne prend le temps de se rhabiller qu’en courant vers la maison, ce qui m’a valu deux beaux vols planés sur la glace, en me retrouvant le pantalon au niveau des chevilles, vautré sur le ventre et faisant corps avec le sol, pendant que les gardiens sortis à cause du bruit de la chute, se fendaient bien la poire au lieu de venir m’aider. Bref, de grands moments de solitudes.

 

Ceci mis à part, la vie là haut est dure, très dure. Il peut se passer plusieurs semaines sans que les habitants ne puissent sortir de chez eux et ce que nous considérons comme des panoramas magnifiques n’exprime pour eux que la rudesse et la pauvreté de leurs vies. Les murs de boues des anciennes habitations se dressent misérablement et bien trop rarement le long des routes, semblant attendre qu’une dernière tempête viennent les coucher pour l’éternité ; tandis que, quelques centaines de mètres plus loin, les maisons neuves, pourtant faites des mêmes matériaux semblent défier ces cadavres du passé, ignorant que, dans quelques années, viendra leur tour de s’effriter avant de s’effondrer sous les assauts de l’hiver afghan.

 

Pourtant, le sourire et l’hospitalité sont toujours là. Je n’ai qu’une envie, celle d’y rester. Peut-être parce que je sais que, pour moi, ce n’est que temporaire.

 

L'Abeille



10/01/2010
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