L'Abeille

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Afghanistan – 3 – 5 juin 2009

Je vous parlais d’échappatoire. Que peut-on vivre de plus incroyable que de prendre un thé sur la rivière du Panshir, de galoper au milieu de la campagne afghane avec les cimes enneigées en ligne de mire, et de déjeuner dans le jardin d’une maison de village au pied de ces mêmes cimes, sous l’ombre d’un murier ? Bref juste de vivre ce qu’on est, entre autre, venu chercher ? Seul (uniquement avec des afghans) et sans rappel de la culture occidentale...

 

Au nord de Kaboul, deux provinces résistent encore et toujours à l’envahisseur (ça me rappelle quelque chose...), la province de Kapissa et celle de la mythique vallée du Panshir (merci commandant Massoud). Invité à passer une journée à Kapissa, me voila parti aux aurores pour une route d’environ deux heures, mélanges d’histoires, de beautés et de désastres. On sort de Kaboul par l’unique route du Nord (desservant Mazar, puis les pays d'Asie centrale) et, après avoir montré pattes blanches à plusieurs check points, on attaque une route d’abord deux voies pour se retrouver sur une voie, qui réussit quand même à faire circuler quatre voitures de front quand c’est nécessaire. On pénètre dans la province de Charikar, connexion entre les pistes menant dans le Centre du pays, le Nord et l’Est. On laisse sur la droite l’aéroport militaire de Bagram, d’où décollent à tous les instants les jets et autres gros porteurs chargés de surveiller le ciel, nettoyer la terre (notion très subjective) et apporter les ressources nécessaires aux combattants. Un peu plus loin sur la gauche, l’ancien nœud logistique russe lors de son invasion (1979-1989) d’où se dressent encore des dizaines de carcasses de tanks, de blindés et autres matériels de guerre, tels des soldats attendant encore la relève, tandis qu’autour d’eux des champs de mines les protègent de toute invasion. Et, au bout de ces quelques pages militaires, se dressent les montagnes dont les sommets culminent entre 4 000 et 6 000 mètres, les contreforts de l’indou Koush. On devine les vallées encaissées abritant des villages et les points de guets hauts perchés. Ces mêmes vallées qui ont permis aux Panshiris de se protéger de toutes les invasions de ces trente dernières années en dynamitant l’entrée de la vallée si nécessaire.

 

Un peu plus sur la droite arrive la province de Kapissa, se liant à la province de Charikar par la plaine de Chamouli, immense oasis perdu au milieu d’un collier de montagne aux pointes acérées, et ce quelques soient les directions où se jette notre regard. La route fait progressivement place à la piste, les maisons de briques et de parpaings deviennent de boues et de pierre, les rickshaws (mobylettes caparaçonnées et équipées d’une « remorque ») remplacent les taxis jaunes et blancs de Kaboul, et les calèches d’ânes et de chevaux redeviennent légions. Des champs verts et rouges se dispersent dans cette plaine à perte de vue, seulement arrêtés par les montagnes revêtues de leur manteau neigeux, se découpant elles-mêmes sur un ciel bleu profond. Les enfants se retrouvent dehors pour suivre les cours, entourant leurs maîtres assis à même le sol. Ceux qui ne sont pas scolarisés (la majorité) aident aux champs et les femmes continuent de se cacher sous leur burqa dès qu’un homme passe à moins de 500 mètres. Monde de couleurs et de vie marquée par les dures secousses de son passé, ce pays restent néanmoins fascinant à chaque mètre, chaque centimètre parcouru.

 

Peu de route dans ces villages où l’on finit toujours à pied pour rejoindre sa maison. Les arbres dominant les rues font régner une certaines fraîcheur et les odeurs achèvent de donner une sensation unique à ces lieux de vie. Les repas sont servis dehors sur des tapis ; les femmes se cachent dans les autres jardins ou pièce de la maison et, après avoir cuisiné, attendent patiemment que l’étranger s’en aille pour pouvoir investir le jardin. La promenade continue tranquillement, en descendant vers le sud de la province. On traverse de petits villages aux multiples échoppes, pas plus grandes que des boîtes d’allumettes, où les commerçants règnent fièrement dans leur royaume de bric et de broc, où un même regard de fierté les lient les uns aux autres. On finit par arriver dans un petit village bordant la rivière Panshir, où les eaux tourbillonnantes des récentes pluies et fontes des neiges se font entendre à plusieurs centaines de mètres. Après avoir traversé le village, on peut s’aventurer sur les berges, laissant les habitations derrière nous, et ouvrant alors devant nos yeux un décor imaginaire, mêlant la rigueur de la montagne à l’infini douceur de ces vallées gorgées d’eaux. Les contrastes sont une nouvelle fois des plus saisissants et, moyennant quelques afghanis, on peut louer un cheval et partir au grand galop, s’enfoncer dans cette nature, pour ne plus avoir envie de faire demi-tour, et pousser toujours plus loin... Mais, comme il faut rentrer, et avant de reprendre la route pour retourner sur Kaboul, de petits dais disposés sur l’eau et accessibles via de maigres rampes nous accueillent. On y boit un thé sur de gros coussins (touchacks), qui servent aussi bien à s’asseoir qu’à dormir. Des enfants nous proposent des yaourts, des gâteaux et autres petits produits, qui représentent pour eux de vrais richesses, et pour nous si peu. Un vrai décalage, qui permet au final à chacun d’y trouver son compte, l’un au niveau des papilles, et l’autre au niveau pécuniaire...

 

Retour vers la civilisation, et notamment l’aéroport civil de Kaboul. Passage des multiples check points où l’on vide son sac complètement au moins quatre fois, où l’on se fait fouiller six fois et où, enfin, on peut se retrouver au milieu des bagages qui attendent eux aussi d’être embarqués. On y trouve des valises « made in China », des sots, des perroquets en cage, et même des armes avec leur étiquette, laissées négligemment à la portée de tout le monde, ce qui ne semble impressionner que moi. On embarque pour un vol de 40 minutes à destination de Mazar-e-Shariff, située au Nord du pays. Après un survol magique des montagnes afghanes, les portes s’ouvrent sur une ville située au début des grandes plaines d’Asie centrale... Et, une fois de plus, on arrive dans un autre monde.

 

En descendant de la passerelle et tout en marchant sur le tarmac, on se sent doucement envahi par une odeur de blé et autres céréales qui me donnent l’étrange impression d’évoluer dans une grange à la fin de l’été. Un soleil blanc ébloui tous les nouveaux arrivants et les prémices d’une chaleur écrasante se fait sentir. Bien que nous soyons à la fin du printemps, les températures avoisinent les 30 degrés, pour en plein été rejoindre la barre des 45 degrés. En dehors de ses effluves, Mazar est un des principaux lieus saints du monde musulman grâce à la mosquée bleu.

 

Que dire de ce lieu, sinon qu’il est puissant et donne l’image d’un bâtiment ayant traversé les siècles sans vaciller (bien qu’il ait subi de nombreuses destructions et reconstructions). Il est entouré d’un immense parc et ses portes d’entrée situées aux quatre coins cardinaux accueillent les croyants dans un univers magique. Des milliers de colombes volent constamment autour du site, renforçant cette idée de pureté, et des centaines d’hommes et de femmes se promènent nonchalamment. En passant les portes, on laisse ses chaussures dans des casiers et l’on peut accéder à l’extérieur de la mosquée. Le sol, entièrement marbré renforce cette sensation de douceur mêlée à la puissance de la religion, et les murs composés de mosaïques majoritairement bleues s’imposent aux visiteurs. En me faisant petit, j’ai pu avoir le privilège de rentrer dans la mosquée, contempler les décorations intérieures et assister à des types de prières comme je ne pensais pas qu’il en existait dans l’islam.

 

Des centaines de personnes se retrouvent autour d’un « chanteur » et forment un cercle autour de lui. De là, ils se mettent dans un état de transe, tout en remuant leur tronc par vagues successives, mais synchronisées ; ils émettent des sons répondant au chanteur, dégageant une puissance et une ferveur qui m’ont captivé pendant plus d’une heure. Impossible de me détacher de cette force.

 

Le soir, la mosquée se transforme en un casino tout aussi rutilant que Las Vegas... Je ne parle pas de machines à sous ou autre, mais dans leur culte du kitchissime Tout l’extérieur est habillé de centaines de petites lumières (LED pour les connaisseurs) qui créent des fleurs, des feuilles, des barres et qui ne se gênent surtout pas pour changer de couleur. La foire du trône vient de d’y trouver sa muse. Toujours a la nuit tombée, on trouve, dans les jardins bordant la mosquée, des dizaines d’étudiants qui, livres à la main, viennent profiter du seul éclairage public de la ville (et peut-être même d’Afghanistan) pour apprendre et réciter leurs cours, ce qui leur économise du pétrole ou du gaz nécessaire à l’illumination de leur chambre.

 

À Mazar comme à Kaboul, le soir, les artères principales s’illuminent de centaines de petites carrioles, d’où émane une chaude lumière produite par des lampes à gaz. Ces carrioles de bois, tirées par des hommes, proposent au quidam des fruits, des soupes, des jouets, certains n’hésitant pas à installer des petits tabourets pour y créer un espace de convivialité à même la rue. Et, doucement, les lumières virevoltent au gré des courants d’airs, des mouvements et autres facteurs imprévisibles. En longeant ces rues en voitures, on a l’impression d‘avoir une haie d’honneur qui ne se tarit jamais et change constamment, ne laissant pas place à l’ennui, un nouveau détail ignoré la veille se faisant connaître à chaque instant.

 

Le reste de Mazar est une ville chaleureuse où se croisent les multiples échoppes et autres commerçants ambulants dans le bazar, les vestiges de la période russe (dont un silo de plusieurs centaines de mètres de long) ; les chevaux y côtoient encore allègrement les voitures et il règne une douceur de vivre plus présente ici qu’ailleurs. La ville n’a en effet connu qu’un seul important massacre sous les talibans en 1998, mais a majoritairement toujours su faire face aux différentes guerres et préserver son intégrité au fil des décennies, ce qui se sent et se vit au quotidien. De plus, l’ethnie majoritaire (Hazara) reste très profondément attachée à ses origines et tient à cette ville, la protégeant chaque fois qu’il en est nécessaire.

 

Quelques jours plus tard, je prends la route du sud pour m’enfoncer dans la province de Samangan... L’asphalte devient un tapis roulant où le nom AFGHANISTAN prend toute son ampleur, où les rêves et images qu’on peut avoir en venant ici deviennent réalité. Les montagnes s’imposent sans concession devant nous. La route se fait plus sinueuse et se dessine au pied d’imposants canyons creusés à la force des bras dans les roches écarlates. Des teintes brunes, vertes, ocre et noires se mêlent et s’entremêlent. Soit des falaises nous dominent de plusieurs centaines de mètres, soit des fragments de collines s’étendent à l’infini tels des jeux de dentelles sans fin. Et, au milieu de tous ça, des villages haut perchés aux maisons typiques, des rivières se déchainant dans les tranchées percées par le temps et quelques fois par les hommes, des vallées vertes de peupliers et arbres fruitiers apparaissent, tandis que des ânes vaquent seuls à leurs occupations de portage d’eau et autres tâches ingrates. On trouve régulièrement, au milieu, des carcasses de tanks et autres véhicules militaires, surtout russes. On se dit que, dans cette douceur de vivre, la guerre ne peut exister, pour quelle raison viendrait-elle s’incruster ici et perturber cet équilibre qui semble exister. Mais qui ne fait que s’emblant d’exister... Au détour d’un chemin, la dure réalité refait surface. Une colonne de blindés fait son apparition tel un squale surgissant des eaux turquoise d’un lagon. Les militaires guettent, surveillent et veillent. Après leur passage, seul reste un nuage de poussière et un goût amer non dû aux particules soulevés par les pneus ou chenilles, mais par le cortège d’idées noires qui suit les véhicules et les questions qui vont avec. Qui a tort, qui a raison ? Aucune réponse ne peut être apportée. Les enjeux nous dépassent, personne ne comprend réellement ce qui se joue ici et ma seule conclusion est que seuls les Afghans sont maîtres de leur passé, présent et futur ; l’histoire l’a démontrée et le démontrera probablement encore. La force des Afghans est de se dissoudre dès qu’un étranger veut s’imposer. Et que peut faire cet étranger quand il n’y a rien à diriger si ce n’est des montagnes sans richesse apparente mais aux ressources inexploitées et inexploitables sans leurs propriétaires ? Des populations n’écoutant que les Shuras (conseils locaux) ? Des tribus et ethnies se faisant front mais se reconnaissant en tant qu’Afghans. Depuis 500 ans, les plus grandes puissances se sont cassé les dents, alors pourquoi aujourd’hui plus qu’hier ?

 

Dans les grandes villes et les plus petits villages, les restaurants fleurissent comme les roses au printemps. Ces commerces n’existaient presque pas il y a dix ans, mais avec la fin des talibans et le retour au pays de beaucoup de refugiés, les exilés ayant appris la restauration dans les pays qui les ont accueillis se sont dit que, finalement, ce n’était pas mauvaise chose que de le faire chez soi. Et on a ici de tout. Des restaurants qui se veulent branchés, disposant de petits box individuels et mobilier « moderne » (kitsch serait peut-être plus approprié), à celui où l’on s’installe en rang d’oignons, sur une petite estrade habillée de moquette et où un rouleau central de toile cirée fait office de nappe. Dans ces derniers, ces étranges créatures que sont les femmes ne sont bien sûr pas admises (manquerait plus que ça !), les couverts sont aussi présents qu’une kippa dans une église, et le plat est unique, cuisiné dans d’immenses marmites. En général, on y mange du riz accompagné de morceaux de viandes de mouton, ou alors un kebab toujours accompagné d’immenses galettes de pain. On y boit du thé et on parle à ses voisins, tout le monde assis en tailleur et regardant négligemment les serveurs s’agiter ou se faire houspiller quand ils ne débarrassent pas une table assez vite. Une fois le repas terminé, on se lèche les doigts, on finit de s’essuyer avec le pain et, dès qu’on amorce un mouvement vers la sortie, les serveurs s’empressent de passer négligemment un coup de balai sur nos places et de jeter par terre les résidus du gueuleton. Au suivant...

 

Avant de conclure, un petit point météo. Comme j’ai pu déjà le mentionner, l’été s’impose avec force. On commence à cuire dès qu’on pointe le bout de son nez dehors, les nuages n’existent plus et la haute altitude de la ville me fait dire que c’est la première fois que je reviendrai surement de vacances moins bronzé qu’à mon départ. De là à faire de Kaboul une station touristique, il y a encore de la marge, mais l’idée est lancée. Et qui ne reviendrait pas en France la peau mate en disant à qui veut bien l’entendre « j’étais a Kaboul pour la semaine, il a fait un temps de rêve ! T’as vu ce bronzage ? Vraiment j’te recommande » ? S’il y a des amateurs, faites-moi savoir.

 

À plus tard,

 

L’Abeille



05/06/2009
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