L'Abeille

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Afghanistan – 5 – 19 août 2009

Et si je vous parlais un peu de politique, de ce qu’on croit comprendre, pour s’apercevoir quelques secondes plus tard que, finalement, il faut ne rien croire, ne pas analyser et se contenter d’observer les faits tels qu’ils sont, car ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui mais le sera peut-être demain, ou pas... Vous ne comprenez rien a ce que j’écris ? Moi non plus... Je devrais plutôt dire que sur ce point, je ne comprends rien à ce que je vis, vois et entends. La vie politique, ici, s’apparente plus à un jeu de « chaises musicales » ou « d’opportunisme spontané »...

 

Je vais essayer de schématiser pour vous donner une maigre idée de ce que tout le monde ici cherche à toucher (Afghans y compris). Je ne citerai pas de nom car le but n’est pas de critiquer telle ou telle personne, tel parti politique ou telle ethnie, mais plutôt de vous donner un aperçu des agissements de la scène politique.

 

Pour commencer, il faut savoir que l’Afghanistan n’est autre qu’un immense territoire peuplé de plusieurs ethnies dont les principales sont les Pachtous, les Tadjiks, les Hazaras, les Turkmens et les Ouzbecks. À cela s’ajoutent des dizaines de minorités qu’il me serait impossible de citer ici. Ces ethnies se sont formées en même temps que l’Afghanistan, au gré des quêtes, conquêtes et défaites des habitants, envahisseurs ou simples voyageurs.

 

Toutes ces ethnies cherchent plus ou moins à s'imposer, s’associer ou se différencier des autres. Ajoutez-y les trente dernières années qui n’ont été (et sont encore) que guerre et désespoir, et vous obtiendrez une nation qui n’a plus de repères, se cherche des leaders et doit subir un modèle imposé par des étrangers qui ne comprennent pas le moindre rouage de la façon de penser et de gérer « à l’afghane ».

 

Au cours de ces années de guerre se sont formés ce qu’on appelle ici des « warlords », des seigneurs de guerre qui, depuis les années 80, ont offert leurs services à la résistance, aux Russes, aux Pakistanais, aux Américains... Bref, là où les conduisaient leurs convictions, leur porte-monnaie, leurs intérêts, et pourquoi pas les trois à la fois quand cela était/est possible.

 

Depuis toujours, les Afghans ont également été les champions pour changer de camp, pour lier des alliances qui ne durent qu’une nuit pour que, le lendemain, une nouvelle se soit créée. Difficile donc d’évoluer dans un domaine où, finalement, rien n’est sûr, rien n’est fiable et où l’on défait aussi rapidement ce qu’on fait. Bien sûr, les warlords sont liés et identifiés à leurs ethnies (à quelques exceptions près).

 

Disons que le cadre est posé. On a, d’un côté, des ethnies, de l’autre, des warlords, et l’on ajoute maintenant des politiciens. Les mêmes (ou presque) qu’on a chez nous. Pour la majorité d’entre eux, ils ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez, leurs intérêts perso, et le peuple n’est finalement qu’un moyen comme un autre d’arriver à leurs fins. Mais je m’égare... Arrêtons le parallèle entre Occident et Afghanistan et revenons à des choses plus terre à terre : vous pourriez ne pas être d’accord avec moi.

 

Prenons un politicien que nous appellerons Monsieur X. Monsieur X, pour se faire élire à un poste, a besoin du support de son ethnie, mais également de celle d’à côté. Or, le politicien de l’ethnie d’à côté (Monsieur Z) ne veut pas aider notre Monsieur X car ils ne sont pas du même parti. Donc notre bon Monsieur X va aller voir le warlord de l’ethnie (ou village ou autre) d’encore à côté et lui proposer de s’associer avec lui. « Si tu me supportes, je te donne une bonne place dans mon bureau, et on sera amis »... La proposition est acceptée. Or, le lendemain, un certain Monsieur Y, qui était ami et supporter de longue date de Monsieur X, n’aime pas Warlord car il a essayé de le tuer il y a une semaine et il a menacé ses copains. Donc Monsieur Y dit à Monsieur X qu’il ne le supporte plus et qu’il va supporter Monsieur Z pour la peine. Or, Warlord, s’apercevant que Monsieur X a un support de moins, décide de quitter monsieur X pour aller chez Monsieur Z et puis, si Monsieur Y est là, alors les chances d’être élu de monsieur Z seront encore plus forte. Mais Monsieur Y qui n’aime toujours pas Warlord va finalement s’accommoder de cette alliance, faute de trouver mieux pour le moment... Mais c’est sans compter sur Monsieur X, qui s’est fait lâcher par tout le monde. Donc il décide de s’associer à Warlord n° 2, et pourquoi pas d’en profiter pour liquider 2 ou 3 de ces nouveaux opposants. Ou alors, il libère de prison des ennemis de monsieur Y, ça pourrait toujours servir ! Même s’il n’est pas impossible qu’en sous-marin Monsieur Z graisse la patte de monsieur X.

 

Il faut ajouter une dernière composante : la drogue (l’Afghanistan est le premier producteur mondial d’opium). Elle est utile à tout financement donc il est préférable de laisser dehors les gros producteurs (certains ayant même des intérêts directs dans le gouvernement) pouvant permettre d’apporter quelques soutiens non négligeable.

 

Et là, on joue encore de manière régulière... Sans oublier quelques groupes obscurs qui, finalement, ne s’allient entre eux (ou ne s’allient pas) que parce qu’ils sont « obscurs » et qu’ils décident de faire parler d’eux uniquement par les armes et la terreur pour récupérer un peu de pouvoir ou imposer leurs idéaux...

 

Alors ? Vous n’y comprenez rien ? Rassurez-vous, vous êtes au même niveau que 98 % des meilleurs analystes de ce pays et probablement de la population.

 

Avec les élections présidentielles qui se présentent, les unions et désunions se défont de plus en plus vite. Les Afghans sont donc « aux fraises » et supporter un candidat tient plus de sa bouille, de ses alliées, des rumeurs, que de son programme. On change d’avis aussi vite que de chemise.

 

Les politiciens ayant compris le charisme et l’influence de ces chefs de guerre sur la population, chacun s’est donc allié à un ou plusieurs warlords pour ameuter le plus d’électeurs... Peu importe ce qui a été fait dans le passé, ce qui sera fait dans le futur, ce qui compte, c’est le moment présent. Demain permettra de tout changer, de trahir, désunir et refaire. Ici, l’histoire ne change pas les hommes, elle les conforte dans leurs agissements. Le temps leur donne raison. Pourquoi regarder ce que les autres peuvent avoir dans vingt ans, quand je peux l’avoir maintenant ?

 

Depuis quelques jours, l’Afghanistan semble être tombé dans un cercle de violences sans fin. Même Kaboul n’échappe pas à la règle. Les attentats se succèdent dans le but de mettre la pression sur les électeurs, les empêcher d’aller voter, dénoncer les dirigeants ou autres candidats potentiels, chasser les étrangers pour régler les problèmes internes. Des consignes claires ont été passées aux journalistes pour les museler demain (20 août) afin de ne pas décourager les électeurs d'aller voter.

 

Le bout du tunnel n’est certainement pas pour bientôt. Ce peuple subit les traumatismes que les autres lui ont imposés et n’est au final responsable que de se situer au carrefour des civilisations et d’avoir subi pendant des siècles les intérêts et désintérêts des « plus grands ».

 

Demain, l’Afghanistan ne changera pas mais une page d’histoire est en train de s’écrire et reste à vivre comme un moment ; et je m’estime chanceux d’être là, même si au final je suis plus acteur que spectateur...

 

Et malgré tout ce que vous pouvez entendre depuis là où vous lirez cette lettre, il faut cependant garder en tête que le peuple afghan reste un peuple comme on n’en voit peu : fier, accueillant, généreux et passionnant. Ne pas tomber dans des amalgames facilement faisables et ne pas considérer que les « têtes pensantes, influentes ou autres » sont à l’image de la population. Ce sont toujours les cas isolés qui font parler d’eux ; on n’en oublie que la majorité y est exceptionnelle, et qu’on croise rarement des peuples comme celui-ci. Même s’il est parfois difficile de concevoir certaines solutions apportées à certains problèmes...

 

Voilà, vous savez tout.

 

À bientôt,

 

L’Abeille



19/08/2009
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