L'Abeille

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Afghanistan – 4 – 18 juillet 2009

Les femmes... L’Afghanistan et les femmes. Un long sujet qui mériterait un livre, une encyclopédie à lui seul.

 

Le plus dur est peut-être pour nous, occidentaux habitués à voir passer le long des rues des corps féminins et à user de stratagèmes divers et variés pour observer, critiquer ou encore se faire remarquer. En Afghanistan, la  question ne se pose même pas. La femme devient un objet qu’on ne voit pas, qu’on oublie. Ses formes n’existent plus que dans nos rêves. Et croiser leur regard devient un défi quotidien.

 

On n’entend beaucoup parler de burqa, mais ce nom ne devient réalité que lorsqu’on s’y confronte. Le fait de voir, ou plutôt de deviner, que sous cette étoffe se dissimule une femme, gêne au début considérablement pour devenir finalement partie intégrante du paysage, l’œil s’habituant peu à peu à ce manque qui, à la moindre sortie du pays, nous fait attraper des sueurs froides dès qu’on croise à nouveau des femmes ayant au minimum le cou dégagé. Je vous laisse imaginer le choc quand on croise une bande de mini-jupes ou un rassemblement de décolletés à l’aéroport de Dubaï. Des gouttes de sueurs se mettent à perler sur mon front, de longs frissons parcourent mon échine, mes mains se mettent à trembler et mes jambes fléchissent sous mon propre poids. Voici, en quelques mots, ce qu’on peut vivre ici sans contact féminin. Tout ça pour en arriver à la relation des Afghans avec les femmes. Rien ne se mélange, les hommes avec les hommes, les femmes avec les femmes. Seuls les enfants peuvent passer d’un parti à l’autre.

 

À la maison, la femme a libre accès à toute les pièces (où elle règne) tant que seul son mari est présent (ou son père ou beau père, voire beau-frère ; bref, la famille).  Dès lors qu’un autre homme est présent dans l’enceinte familiale, il ne faut surtout pas être vu. Rester dans la cuisine, ne pas aller dans le jardin, ne pas être vu et fuir le regard de l’étranger à tout prix. Les femmes sont conditionnées dès leur plus jeune âge à fuir l’homme, son regard et ses envies. Mais, de l’autre côté, les hommes ne voient pas (ou peu) de femmes en dehors de la leur, nourrissant alors des désirs et des idées véhiculées uniquement par les mots, quelques images glanées de part et d’autres, développant un sentiment de frustration intense.

 

Pour se protéger des hommes, les femmes mettent la burqa. Les hommes ne voyant que des burqas sont d’autant plus « passionnés », curieux, voire malsains dès qu’une femme « ose » ne mettre qu’un foulard, libérant aux yeux de tous son visage. Quand, en plus, elle s’habille d’un pantalon ou jean peu bouffant, les conversations s’arrêtent, les regards se focalisent sur l’être injurieux défiant les règles, car révélant les sensations les plus secrètes, détournant les hommes de leurs devoirs.

 

Alors que je me promenais dans certains endroits reculés au fond des campagnes, des femmes qui s’occupaient des enfants ou qui lavaient le linge sont parties en courant, alors que la distance nous séparant était de plus de 100 mètres, laissant tout sur place, de peur d’être déshabillées par mon regard.

 

Résultat évident et totalement hypocrite de ces lois, les hommes, malgré les interdits religieux, ne parlent à longueur de journées que de femmes et des idées qui y sont associées. Tout est induit et jamais directement cité, les jeux de mots parfois scabreux ne font que révéler un mal-être persistant dont ils se passeraient bien. Mais il faudra probablement des années avant que les tabous ne tombent, considérablement aidés en ce sens par les images du monde extérieur qui commencent à être véhiculées par les médias et personnes présentes dans le pays.

 

La burqa ne m’apparaît plus forcément que comme un objet de répression, de privation, mais également comme un objet de protection. Même si je peux concevoir qu’en lisant ces lignes on puisse bondir au plafond. Les mœurs et les tabous sont tellement mélangés à la culture qu’il faut tirer beaucoup de bouts pour essayer de commencer à comprendre le nœud qui se cache.

 

Et pourtant, à mesures exceptionnelles, solutions exceptionnelles. Légalement, un homme peut avoir plusieurs femmes (le rêve) mais, dans la pratique, rares sont ceux qui l’appliquent. Ben c’est qu’une femme, ça coute des sous !!!! Par contre, le nombre de femmes officieuses est considérable. L’essentiel est que celles-ci ne soient pas dans la même ville que celle où habite l’officielle. Il ne s’agit pas de déshonorer la famille quand même... Du coup, dès que je bouge dans d’autres villes avec des Afghans travaillant avec moi, autant vous dire que c’est pour eux un plaisir non dissimulé dès qu’ils savent qu’ils sont sur la liste de voyage. À l’heure du rendez vous, je les vois arriver avec de nouveaux habits, coiffés et rasés de près ; et, pendant toute la durée du voyage, ils gèrent grâce aux SMS tous les rendez-vous qu’ils vont devoir assumer dès qu’ils seront sur place.

 

Les femmes acceptant ces hommes infidèles sont de tout horizon. Et, apparemment, malgré leur burqa, il est facile de les identifier quand on est Afghans. Elles peuvent être mariées, veuves jeunes ou vieilles filles et, en général, elles ne se contentent pas d’un seul homme. Ces couples éphémères se défont aussi vite qu’ils se font. Les femmes se font repérer sous leur tenue par certains tatouages sur les mains, une démarche particulière, ou d’autres détails impossible à distinguer pour les non connaisseurs. Parfois, les hommes usent et abusent de l’usure pour pouvoir fondre sur leur proie en leur répétant tous les jours les mêmes choses jusqu’à obtenir satisfaction, ou les plus malicieux se positionnent à la sortie des universités en promettant monts et merveilles (des hommes quoi !!!).

 

Bien que tabous, ces us et coutumes restent connus de tous mais rarement dénoncés et, quand ils éclatent au grand jour, c’est uniquement avec l’aide de quelques coups de kalachnikov que les conflits se règlent.

 

Trois petits exemples pour illustrer ces quelques analyses de comptoirs.

 

Imaginez moi dans un restaurant à la configuration suivante : faites un carré représentant le centre du restaurant avec des tables de quatre personnes. Autour de ce carré, des petits box surélevés équipés d’une table basse centrale, des coussins tout autour et une grande baie vitrée donnant sur le restaurant. Enfin, luxe par-dessus tout, une petite télé située devant la baie, permettant en un coup d’œil d’embrasser les images et le restaurant. Je m’installe tranquillement avec un de me amis afghans (Najib) sur les coussins. On commence, tout en regardant la télé, à déjeuner tranquillement quand arrivent après quelques minutes deux charmantes jeunes filles ayant enlevé leur voile à l’entrée et qui, ce qui n’enlève rien à la scène, sont fort jolies. Elles s’installent sur la table située devant la baie vitrée de notre box (Alleluiah). Un rapide coup d’œil à Najib et nous nous entendons tacitement sur le fait que le meilleur programme à regarder se trouve derrière la vitre et non sur le petit écran devant celle-ci. Nous nous mettons à l’aise en nous disant que, pour une fois, nous n’aurons pas à zapper. Le début de l’émission se place plutôt bien et nous nous imbibons du moindre geste, du moindre mouvement de ces voluptueuses créatures, qui nous apparaît comme venant de l’au-delà. Au bout de quelques minutes, le serveur débarque dans notre box pour nous demander si tout va bien et constate que nous ne l’écoutons que très peu, tant nos pensées et regard sont absorbés par la scène se passant devant nous. Qu’à cela ne tienne, il se place fièrement devant la vitre et, dans un ultime mouvement, fait tomber un rideau cachant les objets de toutes nos contemplations, ramenant nos regards et pensées à un film indien des plus kitchs diffusé sur une télé et qui n’a d’intéressant que les quelques cheveux volant au vent, nous rappelant qui est derrière le rideau.

 

Pour ce qui est des films afghans diffusés sur les chaînes nationales, les images ne sont guère plus passionnantes. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir le satellite doivent se contenter de regarder les films où la moindre partie féminine est floutée deux ou trois fois. Mais les techniques de floutage étant peu développées, il faut parfois savoir que l’écran entier est dissimulé, on aurait presque l’impression de regarder Canal + sans décodeur mais avec les sons en plus, l’intérêt des films étant alors plus que limité. Hors de question qu’un bout de peau féminine apparaissent aux yeux des hommes.

 

Et pour continuer de brimer les femmes (ou les hommes), bien que celles-ci soient autorisée à conduire, il est très rare de les voir conduire. Le problème n’étant pas leur capacité à conduire (tout comme en France) mais plus les hommes environnants. Dès qu’un homme voit une femme au volant, sa seule préoccupation est de lui rentrer dedans, pour récupérer son numéro de téléphone (peut-être une technique que je vais appliquer à mon retour) mais, bien sûr, si celle-ci refuse, alors elle doit en général payer les réparations... Du coup, une femme au volant devient aussi fréquente qu’un bout de jambon en terre arabe.

 

La conduite est cependant, même pour les hommes, une aventure de tous les jours. Première chose à savoir, le permis de conduire reste une option que peu de citoyens s’offrent. Le résultat n’est pas dur à imaginer. Les rues sont encombrées de voitures en tout sens, ne respectant ni les priorités (qui de toute façon n’existent pas), ni les autres voitures, ni les piétons, ni les calèches... Bref tout ce qui peut avoir un droit de visite sur la chaussée. C’est la loi du plus fort, et à ce jeu tout le monde est le plus fort. On passe au millimètre, on double par la droite, la gauche, en-dessus, en-dessous. On force le passage, on s’arrête en plein milieu de la chaussée pour changer une roue, le tout bien sûr dans un concert de klaxons faisant de Kabul un opéra à ciel ouvert. Encore beaucoup de chevaux et d’ânes en ville, accompagnés parfois de troupeaux de chèvres ou de moutons qui, eux aussi, estiment avoir un « droit de chaussée ». On ajoute quelques charrettes à bras poussées gaillardement par leurs propriétaires et on obtient un quotidien que notre éternel « bison futé » aurait du mal à anticiper. Pour ce qui est de l’usage des clignotants ou des phares, ce n’est guère mieux. Sur les rares doubles voies existant, si un sens est bouché, pas de soucis, on prend l’autre voie à contresens ; les sens interdits existent mais les Afghans doivent penser que ce sont des panneaux de décoration, tous comme les trois feux en vigueur dans la ville. Quand les voitures en sont équipées, on met les warnings dans les « ronds points » pour prévenir qu’on va tout droit. La nuit, on ne roule qu’en phare pour être sûr de voir ceux qui n’en n’ont pas. Les clignotants ne s’allument qu’à titre de décoration, certains n’hésitant pas à les remplacer par de petits stroboscopes. Et on touche là à une des grandes passions du Kabuli. Ici, il n’existe (à peu de chose près) qu’un seul modèle de voiture : la Toyota Corolla, qui remplace progressivement les Volga russes. La Corolla est, par contre, déclinée dans toutes les versions possible et imaginables : break, hayon, sportive, sans vitres, coffre ouvert, avec un taux de remplissage allant jusqu’à quinze personnes (si, si )... Et, par conséquent, il faut bien la personnaliser pour se différencier. On pénètre alors le paradis des « Français » et autres adeptes du tuning. Pas une voiture n’ayant ses autocollants de flamants roses, de compteurs enflammés, de lumières bleues sous la carrosserie, de gri-gri accrochés aux rétroviseurs, de porte-ski (vous avez bien lu) sur le toit, certaines voitures arborant des dizaines de rétroviseurs (certainement pas pour regarder derrière soi) ou, comble du luxe, comme il faut bien distraire le chauffeur, un lecteur DVD avec son écran devant le volant. Par contre, malgré toutes ces bizarreries pour nos yeux peu habitués à ces couleurs, rares sont les chauffeurs qui s’énervent ou hurlent dans leur voiture. Chacun tente de s’imposer dans un flegme des plus déconcertants. C’est presque un jeu qui nous ferait périr de stress, d’énervement et d’épuisement.

 

Je crois avoir à peu près fait le tour des deux choses qui restent les plus grands centres d’intérêt que l’homme ait à ce jour : les femmes et les voitures. Après, quel est celui qui vient en premier...

 

À bientôt,

 

L’Abeille



18/07/2009
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