L'Abeille

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Afghanistan – 6 – 25 septembre 2009

Un mois de privation vient de s’achever. Le ramadan vient de toucher à sa fin et la ville, le pays, reprennent une vie normale, après que l'Aïd ait été fêtée en grande pompe !

 

Pendant le ramadan, Kaboul s’arrête de vivre. Les boutiques normalement ouvertes de 6 h du matin à 22 h, tirent leurs rideaux dès 13 h ; les habitants se terrent chez eux aux mêmes horaires et dorment en attendant la rupture du jeûne. La ville semble s’arrêter. En parcourant certaines rues en plein cœur de l’après-midi, on pourrait se croire dans un vieux western, avec une chaleur écrasante, des rues désertes ; il ne manquerait plus qu’un vent sifflant entre les constructions et quelques buissons poussés par les courants d’airs, déambulant aléatoirement dans les rues. Bon, OK, j’exagère un peu, mais ça permet de se faire une idée de l’impact du ramadan sur la vie de tous les jours.

 

Du lever au coucher du soleil, on ne peut ni boire, ni manger, ni fumer, ni avoir des relations « intimes », bref tout ce qui fait les petits plaisirs de la vie, tout ce qui rend l’homme dépendant, donc autant dire qu’en fin de journée tout le monde est un peu... tendu. Il vaut mieux ne pas claquer une porte ou éviter de faire une blague pas drôle (et ça, je sais faire), au risque de susciter chez son interlocuteur une envie soudaine de nous étriper, ou plutôt de simplement nous faire disparaître de son champ de vision, et s’il peut en profiter au passage pour soulager un peu ses nerfs...

 

On se gave la nuit, on jeûne le jour, le monde à l’envers mais, paraît-il, les résultats sont là. On se fortifie le corps, on maigrit, on se rapproche de Dieu. Je vais peut être m’y mettre finalement...

 

Dans cette république islamique, le ramadan est suivi par près de 100 % de la population mais il n’est pas attendu avec impatience, il est vécu avec difficulté, pour se terminer dans l’allégresse.

 

Environ dix jours avant la fin du jeûne, les préparatifs d’Aïd commencent à se faire sentir. Le trafic grossit au fur et à mesure pour devenir aussi intense qu’un samedi après-midi de décembre sur les grands boulevards à Paris. Les commerçants voient leurs échoppes se repeupler, pour au final être gavées de clients. Ils ne disent plus bonjour, sont désagréables et jettent à la figure des portefeuilles vivants les articles désirés. Au final, toujours comme dans les magasins des grands boulevards (ou autres) un samedi après-midi de décembre.

 

Aïd est, ici, un peu comme Noël en Occident. On cuisine, on invite et on s’invite, on s’habille, on offre, et ce, pendant trois jours. La fin du jeûne proclamé, la population réinvestit les rues, les mosquées débordent sur les routes, installant à la va-vite des tapis pour accueillir les fidèles qui, parés de nouveaux habits, déambulent gaiment dans les rues.

 

Les Champs-Élysées de Kaboul (qu’on appelle Shar-e-Naw) retrouvent dès le début de soirée l’animation qui les caractérise. Les lumières s’affolent le long des restaurants ; la musique hurle depuis de vieux haut-parleurs pakistanais des musiques indiennes (rapprochement des cultures) ; des jeunes, aux cheveux gominés, entassés à six dans leur Toyota Corolla rutilante, musique à fond et vitres ouvertes, paradent sur les bords de l’avenue, en jetant des regards fiers et arrogants aux alentours, cherchant ce qui n’existe pas, des femmes !

 

Et les minots... Pour eux, le ramadan n’est encore qu’une lointaine perspective, et l’Aïd est une occasion de glaner quelques jours de vacances supplémentaires, d’avoir des cadeaux, des chaussures qui font courir plus vite et des vêtements qui les rendent encore plus beaux.

 

En ce qui concerne les cadeaux, le plus beau d’entre tous reste pour eux un cerf-volant. Les cerfs-volants de Kaboul, connus à travers le monde entier (merci au livre éponyme) ne sont pas une légende et, dès que le temps le permet, que les professeurs s’éclipsent ou que l’école garde ses portes fermées, les toits des maisons se retrouvent en quelques secondes envahis par les petits habitants.

 

Pour manipuler le cerf-volant, il faut être deux. Un qui dirige la machine, l’autre qui gère l’altitude en déroulant ou ré-enroulant la bobine. Et c’est ainsi que le ciel se retrouve très vite parsemé de centaines de petits points, voguant aux grées des impulsions humaines et de la volonté d’Éole.

 

Composés de deux baguettes de bois et d’une toile plastique aux couleurs joyeuses, ils volent régulièrement à plus d’une centaine de mètres de haut (non, non, je n’exagère pas). Mais les crashs existent. Et, au vu des nombreux obstacles aériens présents un peu partout dans la ville, tels que les barbelés entourant une maison, les arbres, les tours radio..., rapidement, on trouve des cadavres de cerfs-volants agonisant, qui contemplent leurs confrères danser dans les rivières de vent, avant que l’usure, les intempéries ou ce même vent qui les a tant fait vivre ne finissent de leur arracher leurs ailes et de les faire sombrer définitivement dans l’oubli. Seuls quelques pleurs, parfois, rappellent que, pour certains, ils sont bien plus qu’un simple jouet, mais un réel moyen de s’évader d’un quotidien pas toujours facile. Est-ce un hasard si même les adultes, parfois, se mettent à tenter de les élever ?

 

Plus qu’un objet du quotidien, les cerfs-volants sont un art de vivre, un vrai sport populaire. Les cerfs-volants se livrent une joute de chaque instant. Celui qui perd son fil, coupé par un pilote plus adroit, voit son cerf-volant devenir la propriété d'un autre, d'un enfant plus malin qui aura su prédire où il allait chuter et, à l'aide d'un immense bout de bois, aura su le récupérer avant qu'il ne touche définitivement terre.

 

En parlant de sport populaire, on peut également mentionner le cricket, le bouzkachi, et la musculation.

 

Le cricket, je n’y comprends rien, donc je ne vais pas m’étendre dessus. La seule chose que je sais, c’est qu’il y a une équipe nationale qui est apparemment plutôt performante. Le bouzkachi est un sport équestre (cf. Les cavaliers de J. Kessel) que je rêve de voir ; je vous en ferai un petit récit dès que ce sera fait. Quant à la musculation, bon, je vais m’étendre un peu, car ça vaut le détour.

 

Partout en ville fleurissent des salles de gym vantant les mérites d’un corps huilé, de gros, très gros, très très gros muscles, la peau mate et luisante. Un corps faisant donc rêver toutes les femmes (toujours aussi invisibles d’ailleurs). Chose curieuse, il ne doit exister qu’un seul fournisseur d’affiches publicitaires pour ces salles, car toutes les devantures sont identiques. Il n’y a qu’un seul corps, avec les mêmes gros muscles, les mêmes reflets, le même slip... Ah si, il y a deux différences tout à fait notoires. La tête du modèle a changé et le fond est de couleur différente.

 

Les Afghans fréquentent donc allègrement ces clubs, usant sans limites de produits anabolisants, achetant à tire-larigot des ustensiles telles des ceintures de dos, des mitaines et autres accessoires indispensables qui servent également d’apparat lorsqu’on est dans la rue. Il faut bien montrer qu’on fait du sport et qu’on est musclé. Et quand je vous disais que c’est un réel sport populaire, tout le monde (ou presque) le pratique. Ce qui donne parfois lieu à des excès... Car, ensuite, ils faut montrer qu’on est musclé. Dans ce cas, on porte des chemises en satin bleu qu’on ne peut pas fermer jusqu’en haut (avec un tricot de peau bas résille en-dessous ; il ne faudrait quand même pas montrer trop de peau), on bombe le torse autant que possible (au risque de s’étouffer) ou on fait des concours avec les potes (celui qui jettera le caillou le plus loin, qui portera la plus grosse bûche, qui sautera le plus haut...). Et quand, sans complexe, on se jette dans leurs jeux, on profite d’abord de l’effet de surprise et de « l’hospitalité », puisqu’ils nous laissent gagner au départ, mais, très vite, la compétition reprend le dessus et je me retrouve vite fait relégué dans les derniers rangs avec ma silhouette de crevette, arrivant tout au plus à porter une petite buchette pendant qu’ils soulèvent des troncs entiers. Et, évidement, j’en entends parler pendant des jours et des jours, alimentant les discussions et les rires.

 

Tant qu’à parler du quotidien des Afghans, il serait dommage de ne pas parler des tapis... Acheter un tapis ici reste un grand moment. Il existe plusieurs types de vendeurs. Les ambulants, qui sont en en général regroupés par deux, portant sur leurs épaules leur seul et unique tapis, d’assez grande taille, qu’on négocie à même la rue. Les échoppes avec pignon sur rue, proposant des articles allant des nattes plastiques aux Kilims, mais en général de qualité dite « inférieure ». Puis les boutiques spécialisées, perdues au milieu de vieux immeubles ou concentrées dans d’anciens complexes soviétiques. On rentre alors dans de grandes pièces obscures, gavées de tapis dont on devine facilement les formes. En pressant l’interrupteur, une lumière fébrile envahit la pièce qui, doucement, commence à révéler ses trésors. Des centaines de tapis entassés les uns sur les autres, roulés le long des murs pour les plus grands, voire suspendus au plafond.

 

On s’installe sur une montagne de tapis, on attaque avec un verre de thé, un kebab, et le choix commence. On parle de la taille, de la qualité, de la matière, de l’origine, du design et, une fois les critères donnés, de jeunes garçons sortant de nulle part arrivent les bras chargés de tapis et les étalent. Le vendeur allume une ampoule située juste au-dessus de nous pour permettre de voir les couleurs et en vanter les reliefs. On repère les modèles qui nous intéressent, en faisant attention de ne pas y montrer un intérêt débordant, puis on commence les négociations une fois le(s) modèle(s) choisi(s). On montre les petits défauts, on dit qu’il y a mieux ailleurs, qu’on va partir, qu’on ne comprend pas pourquoi c’est aussi cher, qu’ils profitent du fait qu’on est des étrangers... Bref, tout ce qui peut faire baisser le prix et obtenir celui qu’on veut payer. Parfois, une heure de palabre est plus que nécessaire, mais on en profite pour parler de la pluie et du beau temps, de ses fournisseurs, et d’apprendre toujours des nouveaux petits détails dont on se gargarise par la suite.

 

Une fois le marché conclu, les mêmes garçons viennent chercher les tapis non sélectionnés pour aller les stocker on ne sait où, puis reviennent et emballent ceux choisis, nous les remettant ensuite dans un vieux sac de toile et nous accompagnant avec des grands sourires en espérant glaner quelques sous pour leur travail.

 

Les tapis sont ici plus qu’un objet décoratif. Ils habillent tous les sols des maisons dans leurs quasi intégralité, définissent des critères de richesses, reflètent la personnalité des hôtes. Les gros vendeurs sont aussi indispensables ici que les Saint Maclou chez nous.

 

Sur ces quelques lignes,

 

L’Abeille



25/09/2009
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