L'Abeille

L'Abeille

Afghanistan – 7 – 1er novembre 2009

Pas d'automne ici. On passe brutalement des fortes chaleurs d'été au froid des montagnes (pour rappel, Kaboul est à 1 800 mètres). En quelques semaines, la ville, le pays et la population se métamorphosent. Il se dit que cette année l'hiver sera très rude.

 

L’hiver étant arrivé bien plus tôt que prévu, tous les préparatifs visant à conserver la chaleur se font à la hâte. On refait les toits en y mettant une nouvelle feuille de plastique qu'on recouvre de boue et de fumier ; on tend devant les fenêtres des bâches en plastique, car le bois de ces dernières se gondole avec les changements de températures incessant, laissant apparaître des ouvertures tout autour des linteaux. Des poêles (burarri) au fuel ou au bois s'installent dans chaque pièce et l'on ressort les patous (couverture qu'on porte sur soi de la sortie du lit à l’entrée dans celui-ci). Les rues se vident de plus en plus tôt, certaines voies terrestres commencent à se fermer temporairement et les montagnes se parent doucement de leur habit blanc. La boue remplace la poussière, et les rues passent de l’état de pistes africaines à celui de sentiers forestiers. Dès qu’on sort, si l’on ne ramène pas son kilo de boue sous les chaussures, c’est qu’on a été porté...

 

On sent toutefois une belle différence entre nous, pauvres petits Européens peu habitués aux grands froids, et les Afghans. Tandis qu'on pense déjà à revêtir un blouson par-dessus un épais pull de laine, qui lui-même se superpose à un t-shirt à manche longue, et un Damart qui encercle quatre tricots de peau, le tout joyeusement ceinturé par un slip en fourrure, c'est tout juste si, eux, ne se décident pas à mettre un petit marcel en complément de leur chawar kamise. Mais, avantage de ces pays habitués aux grands froids, c’est qu’on trouve tout sur place pour se parer au mieux pour l’hiver. Des longs manteaux en fourrure aux épais gants de laine, des chaussons fourrés aux bonnets de tchopendoz (cavalier afghan), tout se crée, tout se fait sur mesure et avec une efficacité redoutable. J’ai déjà mon kit fourrure pour cet hiver et, côté look, je pense qu’on atteint des records.

 

Je m’aperçois qu’il y a également un des sujets qui fait, ou plutôt qui est, l’Afghanistan, que je n’ai pas encore abordé. Les ethnies... Longs et douloureux points que je ne pourrais que survoler, ma connaissance étant également très superficielle et il faudrait des années pour en comprendre toutes les origines.

 

On trouve ici, un vrai melting-pot d’ethnies, dont les principales sont les Pachtounes, les Tadjiks, les Hazaras, les Ouzbeks, les Turkmènes. Derrière celles-ci s’en cachent de nombreuses autres, plus ou moins liées, pouvant aller jusqu’à certains villages où l’on ne les trouvera que là.

 

Les Pachtounes constituent 40 % de la population. Principalement concentrés dans le Sud et l’Est, ce sont eux qui depuis des siècles font les dirigeants du pays (à une ou deux exceptions). Ils sont très étroitement liés à leurs frères du Pakistan. Ce peuple a été séparé, par les Anglais, par une frontière qu’on appelle la ligne Durand, tracée sans aucun respect des populations, par pur intérêt stratégique. Un célèbre adage « diviser pour mieux régner » a été appliqué dans toute sa grandeur. Un peu comme les Belges au Zaïre finalement...

 

Suivent les Tadjiks, principalement au Nord, affiliés (comme leur nom l’indique) au Tadjikistan. En troisième position, les Hazaras, dignes descendants des Mongols, dont les premiers ont fait leur apparition avec les conquêtes de Genjis Khan. Restons sur ce décor représentant plus de 90 % de la population, pour déterminer un peu plus les relations inter et intra ethnies...

 

Jusque dans les années 70, tout le monde se supportait (plus ou moins, et uniquement depuis les années 1930) et les places de chacun étaient clairement définies. Mais, avec l’arrivée des Russes, les relations ont commencé à se dégrader de plus en plus, puis les vingt années qui ont suivies ont vu exacerber les haines interraciales, les Talibans (principalement Pachtou) allant jusqu’à organiser des massacres d’Hazaras (et autres) dans le Nord du pays. Bref, aujourd’hui, les tensions sont plus que présentes et restent un des moteurs de l’état du pays. Et ce n’est pas avec le travail fait aujourd’hui par tous les acteurs « nationaux et internationaux » que le problème pourra se résoudre rapidement. On pourrait même croire que l’adage précédemment cité est finalement ce qui, encore aujourd’hui, motive tout le monde...

 

À l’intérieur même de ces ethnies existent des tribus qui, de la même façon que les ethnies, cherchent à exercer et faire valoir leur pouvoir sur les autres. Et, comme en politique (ça, nous en avons déjà parlé), tous les moyens sont bons pour avoir un peu plus de territoires que son voisin. Il n’est donc pas rare de retrouver une tribu Pachtou qui peut, un temps, s’allier avec des Tadjiks, alors que ces mêmes tribus se faisaient la guerre deux heures avant, pour essayer de gagner quelque chose. Quitte à se retourner une nouvelle fois contre ses nouveaux alliés une fois que le but est atteint (cf. précédente newsletter).

 

Et, dans ces mêmes tribus, on règle les histoires personnelles, de terres et autres, à coups de kalachnikov. Il n’est pas rare d’entendre qu’une bataille est en cours entre deux communautés car chacun veut récupérer un lopin de terre, donc tout un village entre en guerre contre un autre. Ça dure la journée, il y a quelques morts en général, et puis chacun rentre chez soi... Pourquoi pas...

 

Donc, maintenant que vous avez toutes ces cartes en mains, je vous laisse imaginer comme il est difficile de retrouver ses petits. « Tout le monde » a trompé « tout le monde » avec « tout le monde ». Donc même « tout le monde » a une dette envers tous ces « tout le monde » mais, pour survivre, « tout le monde » doit s’allier avec un autre « tout le monde ». Que celui qui y retrouve ses petits lève la main.

 

Mais ne nous faisons pas non plus l’image d’un peuple afghan avide de guerre et de sang. Je l’ai déjà répété et le martèlerai autant que possible, nous avons tout à apprendre de l’hospitalité, la générosité et l’esprit de communauté qui règne ici.

 

Et, bien qu’originellement les Afghans soient un peuple guerrier (leur principal revenu dans les temps anciens étant l'attaque de caravanes commerciales), beaucoup de ce qui s’y passe aujourd’hui a été véhiculé (et l’est encore) par la (les) communauté(s) internationale(s).

 

L’Abeille



01/11/2009
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 81 autres membres