L'Abeille

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Afghanistan – 31 octobre 2014 – Hazarajat

Si proche et si loin. Alors que, « chez nous », 150 kilomètres se font en quelques heures, ici, en dehors de l’hélicoptère inabordable pour la population, il faut une journée minimum, voire plus pour franchir cette si humble distance. Et, sur ces routes qui serpentent tel un fil dans le chat d’une aiguille, au travers des montagnes centrales d’Afghanistan, on peut légitimement se demander comment l’homme peut survivre dans ces contrées, certes superbes pour le visiteur mais si dures pour le résident.

 

Au départ de Bamian, les imposants trous laissés par les Boudas géants détruits par les talibans, peu avant la fin de leur ère, laissent cependant planer un sentiment d’humilité à tout curieux s’aventurant autour de ces ruines, les silhouettes divines étant encore profondément ancrées dans la roche rouge. Les multiples cavernes cernant ces ombres immenses rappellent qu’ici aussi l’Homme a vécu il y a des milliers d’années, s’adaptant déjà à ces conditions si particulières que représente ce carrefour de l’humanité.

 

L’asphalte tente une percée de quelques kilomètres pour nous amener aux lacs de Band e Amir, merveille naturelle qui voit des eaux turquoises, encadrées par des « à pics », se déverser les unes dans les autres, au hasard de barrages créés par Dame Nature. Mais, passé cet univers de couleurs, auxquelles se marient les feuilles d’or des arbres préparant l’hiver, la roche, la poussière et le sable reprennent leurs droits.

 

Et, dans cette dentelle de rochers, de montagnes, chaque creux peut recéler un peu d’eau si nécessaire à la vie. À l’aide de boue, de bois et d’un peu de paille, fébrilement l’Homme s’installe, construit. Son premier geste est de planter des peupliers qui lui permettront d’avoir du bois, dans quelques années si tout va bien. Il prépare ensuite ses champs, les nettoyant, pierre après pierre, afin que les quelques semences dont il dispose puissent prendre vie. Et c’est là qu’il vivra, au rythme des saisons, loin de tout. Souffrant de la chaleur d’été, s’isolant du froid intense imposé par le long et rigoureux hiver et travaillant sans arrêt sa terre, se concentrant sur ses bêtes. Aidé de sa famille, il lutte mais c’est chez lui. S’il décide de rejoindre une « ville », pour y commercer, apprendre où se soigner, il lui faudra parfois plusieurs jours pour franchir parfois les 70 kilomètres du bazar le plus proche, en supposant que tout se passe bien.

 

Mais ils restent dépendant de tant de choses que le moindre aléa climatique peut les condamner, ces hommes et ces femmes qui restent là car leurs ancêtres y étaient. Et, malgré des capacités de résistance extrême, des facultés d’adaptation hors normes, les catastrophes sont légions et ils ne savent parfois plus comment faire face, n’ayant d’autres choix que de fuir ce qui les a faits.

 

Au hasard des routes et des rencontres, le travail reste le même en cette fin d’automne : récolter tout ce qui peut l’être, préparer la terre pour les prochaines semences. Les bêtes répondent à toutes les tâches, avec une mention particulière pour les ânes, ces fidèles animaux à tout faire qui portent hommes et marchandises avec une dévotion extrême. Les bœufs y sont parfois associés, afin de tirer les charrues, mettant leur force au profit de la survie.

 

En pénétrant dans ces régions, dont les altitudes les plus basses sont de l’ordre de 2 300 mètres, on comprend mieux les capacités d’adaptation du corps humain. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je dois faire dans les 185 centimètres, 90 kilos et je suis plutôt sportif. Je peux arriver avec une certaine condescendance devant ces Afghans, chétifs, petits et régulièrement courbés. Mais, avec ces quelques mots, je viens de toucher mes limites. Dès qu’il s’agit de marcher, monter une collinette, alors que je n’ai pas fait deux pas, que la sueur a recouvert mon visage et que mon souffle est aussi puissant que ceux des bœufs mentionnés ci-dessus, ils sont déjà en haut, ont eu le temps de faire rôtir le poulet, de préparer les 74 plats nécessaires à se maintenir en forme et, parfois, ils ont même fini leur paquet de cigarettes. Et, même autour des plats, l’humiliation est intense. Ils ingurgitent en un repas mes apports nutritionnels d’une semaine et me toisent, ne comprenant pas pourquoi je mange si peu et ai quand même un peu de gras de chaque côté de mes abdos (eux-mêmes assez bien dissimulés sous des couches d’une substance que je préfère ne pas nommer). Bref, on comprend rapidement qu’on n’est pas chez soi et qu’il vaut mieux s’incliner dès le départ. Cela évite une partie des moqueries, les autres étant parfaitement gratuites mais agréables.

 

Et c’est dans ce pays, que la guerre ravage depuis des décennies, que l’homme n’en oublie pas son humanité, qu’il la vit et l’exprime à chaque instant qui s’écoule. Il est certes pauvre mais toujours prêt à partager ce qu’il n’a pas ou plus. Son honneur est certes à l’origine de tant de problèmes mais c’est ce qui le rend beau, et la solidarité n’est pas un vain mot car, sans les autres, ici, on ne peut vivre. Un bel exemple pour d’autres contrées qui ont peut-être atteint un seuil de confort individuel intense mais qui laissent derrière eux bien des valeurs si nécessaires.

 

À bientôt,

 

L’Abeille

 

P.S. : Des photos ont été ajoutées.



31/10/2014
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