L'Abeille

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Mali – 1er mai 2013 – Bamako

Je vais revenir sur une anecdote que j’aurais pu citer dans un de mes précédents « articles » mais, pour certaines raisons, j’ai préféré attendre un peu. Dans cette histoire, j’ai également décidé de changer le nom de certains groupes, afin de ne pas donner une tournure « politique », « militaire » ou autres à ces quelques lignes.

 

Nous sommes début janvier, deux jours avant que l’opération militaire française ne déverse sur le Mali un flot de feux, d’aciers et d’hommes dans un but affiché qu’il nous est difficile de comprendre.

 

Ahmed est propriétaire d’un véhicule, un 4*4 acheté d’occasion sur un des nombreux marchés de la capitale malienne. Depuis quelques mois, il conduit son véhicule à des fins commerciales, assurant la liaison entre la ville de Tombouctou, ville sous l’autorité d’un certain groupe que nous appellerons ici X, et Bamako, sous l’autorité du gouvernement malien. Il n’y a jamais eu de soucis particuliers pour faire cette route et, lors du passage de la ligne de « démarcation », que certains iront jusqu’à qualifier de « ligne Maginot », seuls quelques documents et une cargaison clairement identifiable sont nécessaires (ainsi qu’une « fouille au corps »). Mais ça passe…

 

Cependant, aujourd’hui, la situation se tend. De nombreux véhicules de X se massent le long de cette ligne et, tel un chat voulant sauter sur un canari, on sent que les muscles se bandent, que les hommes sont soucieux mais décidés, que les véhicules chauffent et se mettent en ligne, que les armes se graissent et les caisses de munitions se chargent. Ahmed est en train de revenir de Tombouctou mais, cette fois-ci, pour une raison qu’il ne comprend pas, il se fait arrêter et de nombreux palabres commencent avec les X. Finalement, ces derniers lui disent qu’il peut repartir sans problèmes mais sans sa voiture. Celle-ci va rester ici, et ce, sans plus d’explications. Bien sûr, notre jeune transporteur ne peut comprendre ce qui se joue (pas plus que le « reste du monde » d’ailleurs) et décide de ne pas abandonner son objet de valeur. Certes, il ne dispose plus des clefs (confisquées par X) mais les papiers sont toujours dans sa poche. Il se débrouille comme il peut pour repartir sur Tombouctou (à environ 300 kilomètres de la « frontière ») et va plaider sa cause aux responsables des autorités compétentes. Ces derniers l’écoutent attentivement et, le jugeant dans son bon droit, lui remette un papier demandant la restitution de son véhicule. Fort et fier de ce papier, il redescend bille en tête pour reprendre sa voiture et continuer sa route. Mais voilà, entre temps, la guerre a commencé et son véhicule en a subi les frais, certaines personnes ayant décidé de fuir sont parties avec sa voiture et ce n’est qu’après cinq jours de recherches qu’il la retrouve en bas d’un virage, quelque peu endommagée. Entre temps, par mégarde, il a perdu le papier lui redonnant son véhicule. Peu importe, il ne semble y avoir personne dans les parages. Il essaie de bricoler le contact mais des troupes de X encore en patrouille dans la région le voit, l’embarquent sur Tombouctou pour « tentative de vol de voiture » et le mettent en geôle.

 

Ce n’est que quelques heures après, par chance, qu’il réussit à être libéré et repart avec un nouveau papier. Il arrive un jour plus tard sur son véhicule et s’aperçoit que des pièces ont disparu pendant la nuit. Il part dans le village d’à côté, récupère un forgeron et ses outils et nos deux compères se lancent dans une réparation « locale ».

 

X n’est plus présent dans la zone mais c’est un autre groupe, Y, qui patrouille. Ces deux jeunes gens s’affairant autour d’une voiture attirent bien sûr leur attention et, en quelques minutes, ils les accusent de vol de voiture. Ce sont les cellules de Gao qu’ils vont visiter cette fois-ci, à une autre journée de route. Nos deux nouveaux amis vont y passer cette fois-ci cinq jours et ne ressortiront que parce qu’un gars de X était dans le coin et a pu faire attester de leur bonne foi.

 

Retour donc à la case départ où, un jour plus tard, nos deux lascars s’affairent à nouveau autour du véhicule, qui chaque jour se dégrade un peu plus… Après plusieurs heures nécessaires à une remise à niveau digne des meilleurs prototypes chinois, le véhicule reprend la route, croisant sur son chemin une foule de blindés militaires venant « libérer » un pays.

 

L’histoire serait trop belle si elle s’arrêtait là. Quelques centaines de kilomètres plus loin, au premier barrage tenu par les forces maliennes, quelle serait la réaction de soldats voyant arrivé un véhicule défoncé, conduit par un chauffeur qui vient de passer plus de dix jours entre prisons, routes et réparation… Ben il l’arrête, pensant que c’est un terrorise en fuite, et le jette dans une cellule. Mais on peut considérer que notre Ahmed est chanceux. Il retrouve en prison une des personnes qui lui avait délivré un papier l’autorisant à récupérer son véhicule alors qu’il était revenu sur Tombouctou. À force de tractations et palabres, son cas attire certaines attentions et, quelques jours plus tard, le voilà qui reprend la route en direction de Bamako, où il finira par arriver…

 

Aujourd’hui, Ahmed a repris ses activités avec son véhicule, restauré !

 

On pourrait reprendre cette citation : « Patience et longueur de temps, font plus que force ni que rage ».

 

L'Abeille



01/05/2013
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