L'Abeille

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Mali – 24 mars 2013 – Bamako

On ne peut en aucun cas affirmer que la situation au Mali est réglée mais on peut sans hésitation dire qu’une première page de ce conflit est tournée. Et c’est, comme il se doit, le moment où certaines histoires ressortent, où chacun y va de son petit mot, de ce qu’il a fait ou vécu pendant ces quelques temps, essayant d’en tirer profit, d’en rire ou de démontrer à quel point les comportements dans ce genre de contexte peuvent être étrange. Les deux moments ci-dessous se sont passés dans la zone sous influence des islamistes, avant que ces derniers ne quittent ces espaces.

 

Un des « mesures » phares des groupes djihadistes, lors de la prise d’une partie du pays, fut l’interdiction de l’alcool. Ont suivi donc des milliers de bouteilles de bières et autres cassées, détruites ou bues à toute vitesse. Mais les stocks étaient tellement importants qu’il ne fut pas possible de tout faire disparaître et certains habitants tenaient à préserver ce qui leur paraissait indispensable par tous les moyens. Ce fut le cas dans le village de D…, où certains habitants construisirent en toute hâte un mur de quelques dizaines de mètres de long fait de caisse de bières, qu’ils recouvrirent ensuite de terre et de boue, comme en sont faites les maisons (ce qu’on appelle Banco) pour camoufler ce précieux butin. Le subterfuge passa inaperçu et, pendant de longs mois, les quelques personnes au courant vinrent la nuit défaire petit à petit les pans de ce mur afin de récupérer quelques précieux liquides, au nez et à la « barbe » des autorités régnantes. Mais tout à une fin… Un soir, un des complices de ce crime « spiritueux » voulut prendre plus que son dû normalement réservé. Or, après avoir abusé de la précieuse cargaison, il en avait absorbé plus qu’il n’en fallait à cet instant et était dans cet état de jouissance avancé où tout paraît possible. Vexé par la remarque d’un de ses collègues lui demandant d’être discret, donc raisonnable, notre compère partit décidé vers la police islamique pour y dénoncer son comparse qui ne « voulait pas partager ». Les conclusions furent rapides : notre héro ivre passa quelques nuits en prisons pour avoir absorbé ce qui ne doit pas exister, le mur fut mis en évidence et les bières détruites en place publique !

 

Quand l’autorité (l’État) n’est plus présente, tout le monde peut se l’attribuer et revendiquer des droits et domaines, voire les vendre, si l’on considère que les propriétaires sont absents ou ont fui. Ce fut le cas dans la petite ville de B…, non loin de D… citée précédemment. Un des notables de la ville pensa qu’une maison était vide et, rapidement, la proposa à la vente, sous prétexte qu’il en était donc le nouveau propriétaire d’office, ceux ayant quitté le lieu lui ayant laissé, apparemment, les pleins pouvoirs. Bien que les ressources vinrent à manquer, un acheteur voisin se présenta, régla la somme demandée et reçut un certificat de propriété « fait sur place ». Jusqu’ici tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’était sans compter sur le vrai propriétaire, qui eut la bonne idée, quelques mois après le début du conflit, de repasser chez lui. Ah oui, j’oublie un détail qui a une certaine importance : ce dernier étant devenu, dans l’intervalle de temps, un des responsables djihadistes locaux et son absence se justifiait par le fait qu’il passait son temps sur la ligne de front à patrouiller avec ses hommes. On peut donc imaginer sa surprise en constatant sa maison occupée par quelqu’un d’autre que lui-même. Après quelques explications avec l’occupant, le notable responsable de la vente fut convié par les deux parties à s’expliquer. L’histoire dit que, quand il apprit ce qu’était devenu le propriétaire original, de nombreuses gouttes de sueur vinrent saupoudrer son front. Arrivé sur les lieux, discussions et explications s’ensuivirent, le fameux certificat de propriété en main attestant de l’acte commis. Au bout de quelque temps, le notable incriminé regarda le « nouveau propriétaire » et, d’une voix forte et posée, lui dit : « Ibrahim, c’est moi qui t’ai vendu ce bien, c’est un fait, eh bien aujourd’hui je te le dévends ». Paraît-il que le notable partit ensuite aussi rapidement que possible vers des lieux plus tranquilles…

 

Laissons de côté ces quelques anecdotes qui continuent de fleurir et consacrons-nous sur un fait tout à fait intéressant qu’est la vente de parfum par les vendeurs ambulants dans Bamako. Ces jeunes gens évoluent en général seuls, avec deux ou trois bouteilles de parfums différents, et proposent, majoritairement aux hommes, de sentir les effluves qui sauront séduire Madame. Sauf que pour vendre, il faut tester. Donc notre vendeur ouvre à chaque fois le parfum, le teste sur le bras d’un potentiel intéressé et cela se répète jusqu’à ce qu’un éventuel acheteur se manifeste. Ce qui arrive toujours mais, en dehors d’une négociation coutumière, il faut également prendre en considération le niveau de parfum disponible dans la bouteille car, à trop faire tester, celle-ci peut parfois être vide… Avoir du stock n’est pas possible au regard de l’immobilisation du capital et du poids à transporter, cela n’est donc pas sans conséquences sur la quantité de produit disponible. Ce n’est pas ce que nous pourrions appeler une bonne gestion d’entreprise et la manière dont ces vendeurs gagnent quelques sous reste encore un mystère que je m’efforce d’élucider sans succès…

 

À bientôt,

 

L'Abeille



24/03/2013
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