L'Abeille

L'Abeille

Djibouti - 28 décembre 2022

D’abord il y a cette immensité ou l’intensité noire du bleu révèle à qui veut le voir les abysses de la mer rouge. Ou que se pose le regard, des gerbes d’eau annonce la présence de poissons et cétacés de toutes sortes et tailles, s’adonnant à la chasse, à la paresse, aux jeux, parfois tout en même temps. En continuant, depuis Djibouti sur une route plein nord, alors que toute terre a quitté les yeux, semble se dessiner, finalement, un léger bandeau montagneux ocre. Plus on se rapproche plus les montagnes deviennent adultes. Elles finissent par se dresser, sèches, rocailleuses et inhospitalière devant le voyageur qui n’a cependant qu’une hâte, celle de les parcourir.

 

Mais avant cela il faut accoster. Le port d’Obock semble être le seul endroit sûr d’une côte protégé par des récifs peu franchissables. Des boutres trafiquant avec le Yémen, Dubaï ou bien plus loin viennent y décharger leurs précieuses marchandises au rythme d’hommes qui pénètrent dans les entrailles de ces navires au ventre gonflé, pour en ressortir sacs et animaux à l’unique force de leurs bras et dos. A côté de ces mastodons dont on se demande comment ils flottent, une myriade de petites embarcations permettent aux pêcheurs de gagner de leur pain quotidien, soit en jetant des filets au grés des marées, des courants mais surtout de leur expérience, soit, pour certains, en amenant des migrants de l’autre côté du Bad-El-Mandeb, vers ce qui leur a été promis comme étant un paradis. Certains traversent d’Ouest en Est, d’autres, déçus, d’Est en Ouest. Ils se croisent mais ne se parlent ni se s’écoutent. La misère et la recherche d’un monde meilleur restent leurs points communs.  

 

La terre reprenant ses droits, on quitte alors Obock en direction de celles qui ne nous attendent pas. D’abord de sable, la piste devient rocailleuse, et pénètre délicatement dans des vallées de plus en plus encaissées. On y remonte des oueds, on y croise des dromadaires, des gazelles, la nuit des coyotes nous rappellent leur existence chassant ce que l’inexistant a à offrir. On s’y sent seul mais en sécurité. La nuit y est noire, intense et parfois fraîche. Les afars, peuples de ces lieux ont peur de l’obscurité. De nombreuses légendes ont fait fuir les humains dans leurs chacunières attendant que le reflet de l’aurore éclaire les vallées et fassent fuir ceux qui peuvent nuire.

 

Et les Sapiens dans tout ça ? Ces afars ? On ne sait par quelle magie, ils et elles sont là. Dans des abris traditionnels que l’on appelle Toukouls, ressemblant à des demi-oranges dont la peau serait un mélange de nattes et de bâches, ils et elles sont là. Loin de tout, proche de leur bétail, ils errent au grés des quelques pousses permettant à chèvres et parfois moutons de vivre. L’eau y est rare et précieuse. Dès que surgit cette richesse, au prix de nombreux efforts parfois surhumains pour permettre à des puits et abreuvoirs d’exister, quelques cultures surgissent, entourées de maintes protections rudimentaires pour éviter que les productions ne soient chapardées par les caprins. Les deux mots qui reviennent sans cesse sont « pourquoi ?» et « comment ?» . Pourquoi vivre là ? Comment vivre là ? Sans être oubliés, ils vivent une existence loin de tout. C’est dans ce contexte que le mot résilience prend tout son sens. Dans des pays plus occidentalisés on parle de désert médicaux quand il faut parcourir plus de trente minutes pour trouver un service médical. Dans ces mêmes pays, on se plaint d’un car qui connait quelques minutes retard, d’une brève coupure d’électricité... Ici, on n’en parle pas, on n’y pense pas. L’accès à nos congénères y est extrêmement complexe, et pourtant il arrive que l’on voit une ambulance sortir de nulle part, prévenue par des logiques illogiques, chercher celui ou celle qui en a besoin. Quelques concentrations humaines voient la construction de nouvelles infrastructures, parfois aux cotés d’autres dont la maintenance a fait défaut.  Pourquoi et comment vivre là ? Tout simplement parce que c’est chez eux.

 

Plus on s’enfonce plus on monte. Par endroits la roche est noire et coupante, ailleurs, marron et ronde. Quelques éclats verts révèlent des minéraux que je ne saurai nommer, et quelques acacias aux épines protectrices grandissent au rythme des siècles qui s’écoulent, offrant là encore, quand le ciel s’est montré triste, un peu de verdure supplémentaire. En franchissant quelques crêtes, au loin, tout au loin, la mer se dessinent, mais le chemin pour la rallier ne sait de faire droit. Ce qui semble proche n’est qu’un mirage. Au loin, toujours plus au nord parait-il, se dessine la frontière Erythréenne que l’on ne pourrait franchir. La géopolitique bat son plein dans ces terres hostiles, et à défaut de comprendre il nous faut respecter.

 

Je ne saurai dire si l’on doit souhaiter que ces terres se découvrent. Leur beauté résident en leur isolement, mais leur isolement est aussi un défi quotidien. C’est un cercle compliqué à ouvrir, peut être même qu’il ne veut s’ouvrir. On ne peut se contenter que de ces bribes offertes a qui veut les prendre, tout en appréciant notre privilège de pouvoir les compter.

 

Djibouti continue de surprendre et d’impressionner.

 

Une perle bien cachée dans une région si tourmentée.

 

Quelques photos ajoutées.

 

Bonnes fêtes !



28/12/2022
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