L'Abeille

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Afghanistan – 22 août 2014 – Kaboul

Certes, il paraît que Rome ne s’est pas construite en un jour, mais Kaboul a connu en trois ans un développement impressionnant.

 

Des barres d’immeubles sont sorties de terre (habitées mais pas toujours connectées ni à l’eau, ni à l’électricité) ; l’asphalte habille ce qui n’était il y a encore quelques temps que des chemins de terre et de poussière ; des « Weddings Halls » éclosent en tout point de la ville, leurs designs faisant parfois penser à des Lego imbriqués les uns à côté des autres ; le nombre de voitures a lui-même considérablement augmenté, ainsi que l’aspect de ces dernières qui, de tacots, sont devenues carrosses.

 

Même l’électricité semble connaître une nette amélioration. Les coupures sont de moins en moins régulières et l’on trouve même, par endroits, quelques éclairages publics en état de marche. On peut également mentionner que ce qui n’était encore, il y a trois ans, que des petites gargotes ont toutes grandi, servant cependant des plats qui n’ont pas bougé « d’un iota », dans ce qu’on pourrait appeler un « luxe rudimentaire », les mêmes plats à base de kebabs, riz et parfois quelques tomates et oignons d’agréments.

 

Comble du luxe, des piscines de type municipales mais gérées par de riches propriétaires commencent à se développer ; mais c’est une autre histoire et je reviendrai dessus un peu plus tard.

 

Sur le papier, cela semble plutôt positif. On pourrait penser que le développement fonctionne comme il se doit, mais cela n’est apparemment qu’une façade qui rapidement s’effrite dès qu’on passe le pas-de-porte.

 

Tout d’abord, il ne faut jamais oublier que Kaboul n’est qu’un îlot perdu au milieu d’un pays où la guerre et la pauvreté font encore rage, où les luttes d’intérêt sont des modes de vie, tant à un niveau local que national ou international, que la population reste continuellement prise en otage et finalement n’intéresse plus grand monde. Une certaine lassitude s’affichant aux moindres ébauches de discussions.

 

L’exemple le plus frappant étant que le pays, depuis plusieurs mois, ne connaît pas son président, l’heureux élu se voyant discuter le pouvoir par l’heureux perdant, ce dernier se pensant lui-même heureux élu, alors que l’élu de longue date garde encore son siège, ne pouvant le briguer une troisième fois, en attendant qu’un jour une décision soit prise (oui, je sais, c’est compliqué à comprendre) ! On attend, on attend, on attend. Et, à force d’attendre, tout se fige, tout se crispe.

 

La population, elle aussi, semble avoir peur ou, du moins, paraît exprimer une angoisse de plus en plus forte et sur demain.

 

Pas toujours au fait des volontés extérieures (d’ailleurs, même ceux « au courant de tout » n’y comprennent rien), les rumeurs, les tensions enflent au gré des vents, dispersant sur leur passage des appréhensions sûrement légitimes mais ternissant la vie quotidienne et créant un réservoir de frustrations et, par conséquent, de tensions potentielles.

 

Certes une phrase qui peut sembler logique mais les pauvres s’appauvrissent de plus en plus, alors que les riches, sans augmenter en quantité, « épargnent » autant que faire se peut. Et, dans un pays où l’économie repose principalement sur l’aide internationale, ces épargnants placent leurs capitaux en dehors. L’immobilisme politique actuel continue de faire dépérir le pays et les perspectives de l’arrêt de certaines subventions, telles que l’essence, soutenues par une économie de guerre (qui disparaît elle aussi), rajoutent quelques gouttes d’angoisses à une mécanique de moins en moins huilée.

 

Car le départ des capitaux « nationaux », se lient également à un intérêt de plus en plus diminué de la communauté internationale, certains jugeant que les résultats actuels ne sont pas à la hauteur des investissements et des espoirs internationaux. Et puis, bon, cela fait plus de dix ans qu’on est en Afghanistan, il y a d’autres crises qui méritent plus d’attentions, disent les gens haut placés.

 

Certes, c’est un tableau pessimiste qui semble se dessiner pour ce pays que j’aime tant mais les images du quotidien, cette volonté si particulière de vouloir avancer « autrement » me ramènent toujours à la même conclusion. Quoique nous voulions ou voudrons faire pour ce pays, nous n’en resterons que spectateurs.

 

Alors je continue de sourire et d’apprécier, lorsque le matin, on assiste à de véritables tiercés en plein Kaboul, quand les calèches de fruits et légumes se ruent au grand trot dans toutes les avenues de la ville. Quand les camions déchargent, au milieu de la rue, à 7 h du matin, les carcasses de bœuf et de moutons égorgés quelques minutes auparavant, sans s’occuper de laisser la voie libre aux autres véhicules. Quand l’incivilité routière et la mise en pratique d’un code de conduite très abstrait ne se traduit que par des coups de klaxon, tant qu’on ne touche pas à la voiture de son voisin. Quand le vieil aveugle est guidé par son petit-fils, grâce à un cheikh assurant la liaison entre la tête de l’un et la main de l’autre, entre les badauds avançant et se bousculant sans but évident.

 

Une humanité que nous ne comprendrons jamais mais qui devrait forcer notre humilité.

 

La prochaine fois, j’essaierai d’être plus joyeux en vous parlant, entre autre, des aventures aquatiques des Afghans citadins, ainsi que du protocole peu orthodoxe de bienvenue de personnalités sur de lointaines pistes de montagnes.

 

À bientôt,

 

L’Abeille



22/08/2014
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