L'Abeille

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RDC – 6 avril 2016 – Kinshasa

Quand on parle du « roulage », les fins connaisseurs du Congo feront référence à ces policiers qui, une fois leur uniforme revêtu, leur dossard orange passé et leur casque ajusté, s’apparentent plus à des Playmobiles qu’à des forces de l’ordre. Et, pourtant, ces derniers sont redoutables. À tous les carrefours, ils sont là. Ils scrutent, guettent, traquent chaque voiture. D’une démarche souple, le visage fermé, ils cherchent la faute ou ils la créent… En les voyants, ceux qui sont à l’avant des files passent la première au cas où ils auraient à fuir ; les suivants montent leurs vitres, regardent droit devant eux et les ignorent en espérant ne pas attirer l’attention des ces fauves urbains. Car, une fois la proie repérée, il est trop tard. À deux ou trois, les « roulages » s’avancent vers le véhicule, l’entourent, telle une meute de loup isolant sa brebis. S’ensuit alors d’interminables discussions, sur le fait d’avoir dépassé une ligne blanche qui n’existe pas, de ne pas avoir de balais d’essuie-glace ou tout simplement en utilisant le principe du « si je ne sais pas pourquoi je t’arrête, toi, tu le sais ». Et, pour les distraits qui ont oublié de fermer leur porte, il n’est pas rare qu’ils pénètrent dans le dit véhicule, afin de le diriger tout droit vers le commissariat, où la rançon, pardon l’amende, n’en sera que plus forte.

 

Et je ne pourrais évidemment clore ces quelques lignes sans parler de leur dernière invention, visant à empêcher le passage des voitures sur les bas côtés de la route. Il s’agit tout simplement d’un petit bâton de bois au bout duquel une plaque habillée de clous vient se glisser délicatement sous les roues des voitures peu respectueuses du code de la route. Inutile de préciser que la conséquence est immédiate : plus de pneu, ce qui laisse tout le temps au roulage d’entamer les négociations, bien que certains tentent de s’enfuir sur les jantes…

 

Les Belges voulaient en faire la capitale du pays. En plein centre de ce dernier, la ville de Kananga ressemble plus à une cité endormie qu’autre chose. La poussière est partout, les vastes rues n’abritent que quelques motos, dont les maigres klaxons n’arrivent pas à casser l’inertie ambiante. Seule 15 kilomètres de route habillent toute la province du Kasaï, autrefois capitale du diamant zaïrois. L’électricité et l’eau ne sont que trop rares, devenant des produits de luxe. Dès qu’on s’éloigne du centre, on est plongé dans la brousse épaisse, où chaque kilomètre se fait au prix d’âpres batailles avec des sols trop sablonneux, caillouteux ou boueux, faisant souffrir les mécaniques. Parfois, une petite piste se dessine, aussi large qu’un sentier, permettant à quelques aéronefs de se poser, jouant alors le rôle de taxis brousse, mais uniquement pour les ONG ou autres facteurs d’aides au développement disposant de suffisamment de fonds pour s’offrir des heures de vol. Et, pour les plus pauvres, le vélo reste l’ultime moyen de transport, non pour se déplacer, mais pour transporter ce qui peut être vendu.

 

Et, là, au milieu de nulle part, on se demande comment il est possible de garder un contact avec le monde extérieur, comment une école peut survivre, comment un malade peut se faire soigner. Certes quelques trop rares structures existent : des écoliers aux uniformes délabrés et déchirés écoutent les mots d’un professeur peu, voire pas payé, qui tente, tant bien que mal d’enseigner à 70 élèves, parfois plus, les rudiments qui leur permettront d’accéder au savoir ; des infirmiers aux émoluments tout aussi absents prodiguent des soins avec le peu qu'ils ont.

 

Au milieu des jardins, des panneaux solaires alimentent de petites radios entourées de chaises en plastique, permettant aux villageois d’écouter le monde. Un peu plus loin, un magnétoscope et une télé en noir et blanc servent de salle de cinéma, lorsque la batterie de la voiture permet de fournir le courant nécessaire.

 

Et pourtant, autant que les enfants, les rires sont partout. Chaque visiteur est reçu avec des honneurs grandioses, des danseurs aux masques secrets s’agitent, se voyant récompenser de leurs efforts par quelques billets. On crée des éléphants de tissus, des chapeaux de perles et autres artifices qui permettent d’afficher haut et fort le rang de chacun, définissant l’ordre protocolaire, à ne jamais négliger. Il est certes triste d’écouter les doléances de ses gens, oubliés de tous et qui ne savent pas compter sur leur État, mais il est toujours encourageant de voir que, malgré tout, la vie sait s’imposer, faisant de l’ingéniosité la principale ligne de conduite pour survivre dans un environnement difficilement compréhensible pour qui ne saurait le lire.

 

Quelques photos ajoutées, pour les curieux.

 

À bientôt,

 

L’Abeille



06/04/2016
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