L'Abeille

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RDC - 16 Octobre 2018 - Tchomia

Si le paradis existait, il pourrait ressembler à Tchomia. Pour y accéder, prenez la route de l’Est depuis Bunia, puis toujours tout droit. Il faudra compter deux heures pour effectuer les 35 km d’une route défoncée et poussiéreuse. On commence par attaquer ce qu’on appelle les escarpements. La piste grimpe en lacet vers un col à près de 1 600 m, où le déboisement a fait des ravages. Source de charbon, les forêts sont rasées à coups de feu de brousse, puis, une fois l’incendie passé, telles des fourmis, les populations locales se ruent sur la terre noire de cendre et de braises et récoltent de petits bouts de charbon qui seront vendus quelques dizaines de francs sur les bords de route.

 

Pourtant, certains se battent et, en raison de l’altitude, on passe au travers de quelques immenses forêts de jeunes sapins qui déploient vers l’infini leurs épines, et espèrent avoir plus de chances que leurs prédécesseurs, qu’ils soient conifères ou feuillus. Des ruisseaux habillent le relief, avant que ne se découvrent des milliers de rochers qui donnent au paysage l’aspect des chaînes de montagnes peuplant certaines régions d’Asie centrale. Là, poussière, pierre et arbustes sont les rois.

 

On y croise camions et motos qui, à leurs rythmes, assurent le transport de poissons et d’hommes. La topographie rend complexe les manœuvres, et il n’est pas rare qu’un poids lourd marque la cadence pour toute une caravane qui, peu encline à prendre des risques inconsidérés, préfère attendre dans des nuages poussiéreux qu’une opportunité de doubler se présente. Une certaine sagesse routière observée ici, tant, paraît-il, les aïeuls présents au pied des falaises sont nombreux, ce qui a donc dicté des règles de conduite. Vestiges des temps passés, la route est longée de poteaux qui, en leur temps, charriaient l’électricité jusqu’au bord du lac. Mais les voleurs sont passés par là, et la légende raconte qu’il ne leur a fallu que trois nuits pour récolter les 40 km de gaine cuivrée qui alimentait en lumière les abords du lac.

 

Une fois en haut, un paysage incroyable s’ouvre alors aux yeux des chanceux qui prennent le temps de contempler. Quelques centaines de mètre plus bas, une immense langue de savane naît au pied des roches et se jette des dizaines de kilomètres plus loin dans les eaux bleues du lac Albert.

 

En traversant cette savane, on imagine sans problème les éléphants, lions et gazelles qui autrefois pullulaient par milliers ici, avant que l’homme ne les anéantisse tous pour de sombres histoires d’ivoire, de protection des troupeaux ou d’amusements, mais rarement pour pouvoir survivre. Le lac Albert, grâce à ses fabuleuses ressources piscicoles, alimente en poissons une grande partie de l’est du Congo, parfois jusque Kisangani, à plusieurs centaines de kilomètres à l’intérieur des terres. Ici moins qu’ailleurs, la faim ne devrait pas exister, ce que les Belges au temps des colonies, puis les Grecs dans les années 1980 avaient très bien compris.

 

Sur les immenses plages cerclant un lac dont on ne voit au loin que les terres ougandaises, on ne compte plus les bâtiments abandonnés, anciennes pêcheries qui nourrissaient toute une population, et bien au-delà. Habillés du blanc et du bleu qui revêtent les constructions de Santorin ou de Corfou, les murs font maintenant face aux défis d’un temps sans régénération.

 

Trop régulièrement, on croise des autochtones à la peau blanchie, non par une quelconque crème, mais par des gênes qui révèlent cette dernière cohabitation avec des populations européennes. Ces « patrons », comme on les appelle ici, venaient pour faire fortune et profiter de toutes les joies qui pouvaient s’offrir à eux, sans contraintes ni questions. Avant de repartir avec la même philosophie.

 

Et si l’on imagine sans problème les longs après-midi passés sous les arbres à jouer aux cartes, attendant que les barcasses chargées de poissons ne rentrent, aujourd’hui tout se meurt doucement. Le lac Albert se vide de ses poissons, créant de nombreux conflits avec le pays voisin qui gère, quant à lui, ses ressources. La population semble être entrée en léthargie, et ce ne sont pas les restes de docks aux grues rouillées qui vont changer cette impression. Certes, le lac continue de fourmiller de petites embarcations qui semblent cependant errer sans but commun que celui d’exister.

 

Seule la météo semble encore dicter une loi. Le vent prévoit les mouvements d’algues qui parfois étendent les plages de plusieurs centaines de mètres vers l’horizon, langues de terre éphémères qui, au petit matin, ont toutes disparu. Quelques gouttes de pluies suffisent à engendrer, à la nuit tombée, des millions de termites qui ne volent que de manière trop éphémère. Comme elles cherchent un rayon de lumière pour achever leur vie, une lampe de poche disposée à même le sol donne naissance à un tapis vivant et grouillant. Quelques instants après, elles ne sont plus et il n’en faut pas plus pour les récolter par sacs entiers, ce qui fera de très bons biscuits apéritifs.

 

Quelques photos ajoutées.

 

À bientôt.

 

L’Abeille



16/10/2018
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