L'Abeille

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RDC – 23 février 2016 – Kinshasa

En termes d’imagination, nous pourrions avoir beaucoup de choses à apprendre. En face d’une des rares usines du pays, un petit bar s’est installé en disposant une énorme banderole à l’attention des ouvriers sur laquelle est écrite « tout travail mérite sa bière ». Résultat : la terrasse ne désemplit pas. Ailleurs en ville, une école vante la qualité de son travail et son coût très abordable en proposant des formations « semi gratuites », alors qu’une autre se targue de dispenser « des cours dignes des plus grandes universités anglaises, dans la langue de Molière », comme si nous étions à New York… Dans ce qu’on pourrait appeler le plus pouilleux des villages, dans un bar sans charme, aux odeurs douteuses, le patron, qui passe plus de temps à houspiller ses clients qu’à vendre des consommations, voyant que vous cherchez les toilettes, vous regarde droit dans les yeux et vous demande dans le plus parfait des français « Est ce que Monsieur désire se soulager ? ». Et, une fois la chose faite, il ne trouve rien de mieux à faire que de s’asseoir quelques instants à côté de vous, de vous réciter « Les Fleurs du Mal » avant de repartir insulter qui le veut bien, sans plus d’explications…

 

Au Congo, la corruption existe sous toutes ses formes. Il y a celle pratiquée mondialement, qui consiste à majorer un contrat, puis reverser une certaine commission aux différents interlocuteurs, ou bien celle qui consiste à payer des fonctionnaires pour faire avancer les dossiers et d’autres encore très, trop traditionnelles, qu’il n’est pas nécessaire de citer ici. Mais le Congo ne serait pas le Congo sans un peu de couleurs et d’originalité dans cet environnement. Une des répliques les plus significatives est « j’ai soif » ou « paye-moi un sucré ». Traduire : « donne-moi un peu d’argent ». Le non averti pensera vraiment qu’il s’agit d’un acte de charité et le fera sans problème. C’est le cas ici, dans cet aéroport climatisé où je me trouve actuellement, où un douanier se dirigeant vers un des quidams attendant son avion lui demande d’un ton très naturel de se faire « payer un sucré ». Le quidam prend l’air un peu offusqué, se disant gêné par cette pratique, mais, afin de se donner un peu de constance devant les autres individus (ayant tous un sourire en coin), ne peut s’empêcher de rajouter « c’est vrai qu’il fait chaud », alors que la climatisation étant à son maximum, nous portons tous au moins un gilet. Le même douanier recommencera ensuite l’opération un peu plus tard, ce qui marchera exactement de la même manière. Et le plus impressionnant est de voir avec quelle célérité ce douanier arriver à cibler « celui qui paiera » sans se tromper. Il faut ensuite comprendre le circuit que fait l’argent. À chaque fois, l’intéressé récupère un ou deux dollars. Sur cette somme, il ne touchera au final que bien peu car il devra donner la majorité de cette dernière à son chef, qui donnera lui-même une partie à son propre chef, et ainsi de suite. Et chaque acteur profitera de sa position pour récupérer son dû.

 

En m’asseyant à une terrasse le long de « l’autoroute congolaise » reliant Kinshasa à Matadi, un policier s’afférait à arrêter toutes les voitures qui faisaient office de taxi entre ces deux centres économiques. Sachant pertinemment qu’aucune d’elles ne disposaient des papiers appropriés, il commençait à relever tous les défauts et problèmes (il faut imaginer une Toyota Yaris, presque la taille d’une Mini, avec huit personnes + bagages à bord), parlant tant de l’usure des pneus que d’accroche rudimentaire des bagages sur le toit ou contestant la présence de deux passagers dans le coffre. Sentant que la discussion allait s’éterniser, le chauffeur coupe court et sert la main du policier, en y glissant 1 000 francs (environ 1 USD) et, hop, la barrière s’ouvre… Le tout sous l’œil vigilant de quelques autres gardiens de la paix, somnolant sous un arbre. En trente minutes, ce sont 22 voitures que j’ai vu arrêtées et chacun se prête « de bon cœur » à ce jeu. Peut-on réellement en vouloir à des fonctionnaires qui touchent des salaires ne permettant pas de vivre ? Il est également possible de louer son uniforme à un policier afin de permettre à des non-policiers de gagner leur vie de la même manière. L’argent étant bien évidemment redistribué à tous les échelons.

Et tout se passe toujours avec une certaine nonchalance, sans que personne ne semble offusqué, les règles étant connues et acceptées, rejoignant la philosophie développée par un certain Mobutu : « Vous avez une fonction, utilisez-la pour gagner votre vie ! ».

 

Et, aussi frustrant que cela puisse paraître, c’est finalement un jeu constant, qu’avec un sourire il est possible d’éviter (pour l’étranger que je suis) mais en sachant qu’il faut du temps pour tout. Je vais me répéter mais, ici, nous (les étrangers) avons l’heure, alors qu’eux (les Congolais) ont le temps. Une différence de perception qu’il ne sert à rien de vouloir contrer, au risque d’y laisser quelques nerfs.

 

À bientôt,

 

L’Abeille



23/02/2016
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