L'Abeille

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RDC – 8 – 18 mai 2008

Messieurs dames,

 

Il y a des histoires qui méritent d'être racontées aussi vite qu'elles arrivent, pour ne pas en perdre une miette et essayer de retranscrire le plus fidèlement possible ce qu'on a pu voir ou vivre. Celle décrite ci-dessous se passe à Goma. 

 

Avant de me lancer dans l'histoire de « Achille aux dents d'acier », quelques petites informations sur la ville de Goma où je viens de passer deux jours.

 

« Capitale » du Nord-Kivu, elle se situe sur le lac Kivu, à la frontière du Rwanda et sous un volcan rentré en éruption il y a cinq ans, détruisant, sur le passage de la lave, la moitié de la ville. Aujourd'hui, les séquelles de cette éruption sont encore visibles avec la roche volcanique à même les sols et de longues traînées noires, notamment sur l'aéroport. Bien que les habitations aient repris leurs droits, chacun prie pour qu'une nouvelle éruption ne se fasse pas connaître avant au moins cinquante ans.

 

Goma est une ville ne vivant quasiment que du commerce et où l'on y trouve, en complément des vélos et autres moyens de transport habituels, des immenses trottinettes en bois (d'une hauteur au guidon de 1,7 mètres et d'une longueur dépassant les 2 mètres), sans freins ni moteur, déambulant au milieu de rues chargées de marchandises, dont on se demande encore comment elles peuvent tenir. Les maisons sont entassées les unes sur les autres, servant pour certaines en même temps d'échoppes pour quelques rares marchands de poissons pêchés le matin même, dans un lac résonnant de centaines de bulles de gaz s'échappant des fonds.

 

Mais revenons à nos moutons. En déambulant dans la ville, je suis tombé sur une affiche vantant la prestation de « Achille aux dents d'acier », cet après-midi à 15 h 30 au stade de l'unité. Démonstrations de catch et de pouvoir surnaturel.

 

En me présentant au stade, je vois un attroupement de plusieurs centaines de personnes se pressant devant l'entrée, des gardes armés de bâtons de bambous debout sur les murs d'enceintes pour empêcher toute personne de passer par-dessus et un guichet où, moyennant 300 Frs (0,3,$), on peut obtenir son billet pour le précieux sésame. Avant de sortir la somme de ma poche, j'ai pu assister à l'arrivée triomphale d'Achille, sur une petite moto, entourée de dizaines d'autres lui faisant un festival de klaxons, tout en se frayant un passage au milieu de dizaines de gamins courant le long du cortège et ovationnant notre athlète.

 

Côté look, c'était impressionnant : 1,75 mètres au garrot, une étoile de cheveux découpée sur le haut de son crâne, un short et juste-au-corps violet fluo, laissant apparaître des bras aussi épais qu'une cuisse de phacochère, une paire de chaussette jaune fluo arborant les étoiles de la RDC et une paire de baskets à faire pâlir de jalousie les plus grands basketteurs.

 

Il interpellait vivement la foule tout en la fusillant de son regard noir et, à chaque fois qu'il prononçait son nom, il nous fallait hurler d'un ton uniforme « Yes ».

 

Tout autour du stade, pour ceux qui n'avaient pas pu payer leur entrée, des places de choix telles que les arbres, les panneaux publicitaires ou les toits des maisons faisaient office de gradins sous les regards courroucés des « gardes au bambou ».

 

Après de longues explications sur qui il était et son CV général (il a fait polytechnique à Bukavu), le spectacle a commencé. Aucun adversaire ne s'étant présenté pour l'affronter, il s'est fait fort de nous offrir une démonstration de ses compétences à l'aide de quelques accessoires qu'il avait préparés pour l'occasion.

 

Quelques incantations l'ont d'abord mis en condition et ont apparemment développé sa force. Pour commencer, il a soulevé un volontaire par la seule force de ses dents, en mordant dans sa ceinture ; puis il s'est fait pilé du manioc sur le ventre en y installant une calebasse au milieu de celui-ci ; il a soulevé une personne debout sur son triceps ; puis il a permis à vingt volontaires de l'écarteler, sans que ceux-ci ne parviennent à le faire bouger d'un pouce ; des motos lui ont roulé sur le corps... Je peux dire que maintenant Superman existe et qu'il est Congolais. 

 

Bref, du grand spectacle qui a mis tous les spectateurs en extase, le faisant passer pour un demi-dieu jusqu'à l'arrivée d'un combattant inconnu. 

 

D'un geste de défi, celui-ci a enlevé sa longue doudoune noire pour faire apparaître une musculature de crevette, une taille de girafe et une gestuelle des plus romanesques. D'un seul coup, un vent de folie s'est emparé du stade. Les gardiens ont relâché leur attention pour assister au combat qui se préparait et un flux de personne a envahi le stade pour assister au choc des titans. Après que les adversaires se sont longuement jaugés, les coups se sont mis à pleuvoir mais... virtuellement. Les adversaires étaient à trois mètres l'un de l'autre, dans un état de transe absolu et un coup de tête pouvait porter jusqu'à dix mètres pour toucher l'adversaire s'effondrant alors sous la violence du choc. Les coups pleuvaient, à la vitesse d'un escargot poursuivi par une tortue, la foule hurlait et interpellait les combattants tout en se déplaçant avec les athlètes et en faisant les poches de certains spectateurs (comme moi, qui y ai laissé un portefeuille et un téléphone). Au bout de quinze minutes de ce « combat » acharné, Achille a finalement triomphé de la crevette et, quand celle-ci, mauvaise perdante, a décidé de revenir à la charge, les policiers ont eu vite fait de l'interpeller et de la faire sortir du stade à coup de matraques (non virtuelles).

 

Il a fallu quelques minutes de repos et d'incantations bien méritées à notre héros pour se remettre de ses émotions et terminer le show en soulevant toujours de ses mains un bloc moteur qui traînait sur le stade. Les « Yes » ont ensuite accompagné sa sortie du stade.

 

Pour terminer, quelques paradoxes africains sur lesquels j'ai passé pas mal de temps à méditer mais sans jamais arriver à trouver de conclusions, si ce n'est l'expression « no comment » :

- Aucun Congolais n’a été capable de me traduire le mot « ponctualité » en swahili.

- Plus on est gros, plus on et beau.

- On ne cherche pas à bronzer mais à blanchir, tout en disposant d'un arsenal de crèmes au moins équivalentes aux nôtres mais avec un effet inverse.

 

À bientôt,

 

L'Abeille



18/05/2008
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