RDC - 25 Juillet 2017 - Kinshasa
Il paraît que la vie n’a pas de prix. Cela peut dire qu’elle ne vaut rien, ce qui est alors révélateur, dans certains cas, d’un dysfonctionnement institutionnel fort car, quand quelqu’un est proche de la mort, il n’est pas toujours facile de savoir à qui s’adresser, si tant est qu’on puisse s’adresser à quelqu’un.
En rentrant chez moi, à la nuit tombée mais avant que la foule n’ait disparu des rues, dans une artère kinoise assez fréquentée, voilà que je passe devant un homme allongé (je devrais plutôt dire vautré) sur le trottoir, sa valise entre les jambes. Pensant qu’il s’agit d’un ivrogne, comme on en voit habituellement et trop fréquemment, je passe mon chemin. Mais, pour une raison inconnue, après quelques mètres, je fais demi-tour et me rapproche du corps inanimé que viennent d’enjamber deux Congolais, sans y prêter la moindre attention. Je me rapproche de l’homme, lui parle, mais rien… Je le remue légèrement, espérant toujours provoquer une réaction : toujours rien. Je pose alors ma main près de sa gorge et sens une respiration difficile mais, au moins, respiration il y a. Intrigués par ce spectacle peu habituel d’un étranger « au chevet » d’un autochtone, quelques Congolais se rapprochent et je leur demande alors ce qui doit être fait dans ce cas-là car, ici, même s’il est affiché en grand à travers tout Kinshasa, le numéro d’urgence est un concept plus qu’une réalité. Par acquit de conscience, j’appelle, mais on me dit que le numéro n’existe pas… On me dit qu’il faut trouver un agent de police. Quelques quidams, en haranguant d’autres, insistent pour que quelque chose se passe, mentionnant la notion de non-assistance à personne en danger. Mais, au final, personne ne fait rien car personne ne sait quoi faire, ou tout le monde a peur d’être accusé d’avoir fait ce qu’il ne fallait pas.
Sachant où les policiers se cachent, à quelques mètres de là, je passe les voir et leur dit qu’un homme est en bien mauvais état. Ils me disent y aller de suite et, rassuré, me voilà repartant chez moi avec ma petite moto. Un peu plus d’une heure après, me décidant à aller explorer la vie nocturne de la belle kinoise, je repasse devant le corps inanimé de cet inconnu, constatant cependant que la valise qui l’accompagnait avait disparu. Étant en voiture, je vais chercher d’autres policiers, que j’amène « manu militari » sur place. Ils constatent eux-mêmes la sévérité de la situation tout en paraissant désemparés et ne sachant pas quoi faire. Constatant que j’étais témoin de cela, ils me disent qu’ils vont faire venir une voiture et l’amener à l’hôpital. Je peux donc repartir « l’esprit tranquille », ce que je fais afin d’aller souper dans un des bons restaurants pullulant dans le quartier chic de Kinshasa.
Bien repu, je me décide à rentrer à la maison et, sur la route du retour, je ne peux que constater que l’homme est toujours allongé au milieu du trottoir mais, cette fois-ci, je ne pourrai plus utiliser que le nom de dépouille, car la vie l’a quitté… Je retourne voir d’autres policiers non loin de là, ces derniers étant cependant chargés d’assurer la protection d’un notable et, au prix de quelques ruses, ils envoient un véhicule pour récupérer le corps, sans que je sache ce qu’ils en feront ensuite.
Au-delà cette histoire se cache une réalité bien loin de la nôtre. Que faire en pareille situation ? Tout ici est payant et, si l’on se prend à vouloir aider concrètement une personne, on se retrouve principal coupable. Nombre de Congolais ou étrangers ayant amené une personne dans ce cas de figure à l’hôpital se sont vus obligés de payer tous les frais ou accusés d’avoir provoqué l’état de la personne et donc de devoir pénalement et financièrement assumer les conséquences de ces actes. Aucune structure étatique ne semble exister, et la police elle-même ne sait quoi faire en pareille situation, alors qu’eux-mêmes sont fortement démunis et ne disposent même pas de radio ou de téléphone leur permettant de prévenir quelqu’un, si tant est qu’il y ait quelqu’un à prévenir.
Et, si derrière ces mots, un certain détachement est perceptible, il ne fait que révéler l’habitude qu’on prend à voir, chaque jour, une population démunie de tout, et où même ce qui nous semble acquis, la vie, n’est rien.
Promis, la prochaine fois, je serai un peu plus joyeux et parlerai de quelques jolies scènes du quotidien.
À bientôt,
L’Abeille
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