L'Abeille

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RDC – 6 – 8 avril 2008

Bonjour à tous,

 

Un petit mail pour vous donner les dernières news en date du Congo, ce qu’on y voit, ce qu’on y vit…

 

Petit retour sur les prénoms. J’ai réussi à trouver dans une même famille des frères répondant aux prénoms suivants : Degaulle, Karlmarx et Sadam… Sans commentaires !!!!

 

La vie s’est partagée ces derniers temps entre Lubumbashi, Kalémie et un nouveau venu, Kiku. Et ce dernier nom va probablement rester comme un des moments les plus forts que j’ai pu vivre en RDC.

 

Pour situer, Kiku (prononcé Kikou) est à une quinzaine d’heure de barquette (pirogue avec un petit moteur) ou trois jours de pirogues (à rame) sur le lac Tanganyika, du premier village digne de ce nom. C’est un hameau de 400 âmes, dont au moins 300 enfants vivant uniquement de la pêche et en quasi autarcie !

 

Côté géographie, Kiku est au bord du lac, entouré de montagnes, la première route étant à plus de 200 kilomètres. La seule solution pour quitter le village à pied est d’emprunter un sentier zigzaguant à travers les montagnes, mais il faut environ sept jours pour rejoindre la civilisation la plus proche, le sentier étant impraticable en saison des pluies (qui dure sept mois par an). En apparence, tout est idyllique : des couleurs incroyables, des levers et couchers de soleil sur le lac comme j’en ai rarement vus, des immenses plages de galets ou de sable fin baignant dans des eaux turquoises, chaudes et douces. Un endroit « où passer ses vacances » si l’on oublie les difficultés pour s’y rendre : pas d’électricité, réseau téléphonique ou Internet.

 

Bien sûr, aucun véhicule, ni auto, moto ou vélo. Ils ne parlent pas swahili, encore moins français, mais un dialecte local, et beaucoup d’entre eux (pour ne pas dire la quasi-totalité) ne sont jamais sorti du village. Seul trace de « modernité » : un commerçant qui a installé là une échoppe où l’on y trouve « de tout » dans 4 m2. Question monnaie, c’est aussi lui qui fournit le village puisqu’il achète du poisson qu’il revendra lorsqu’il ira s’approvisionner. Il dispose également des deux seules « machines » du village, un moteur pour sa barquette et un minuscule groupe électrogène pour la salle de cinéma (je vous en parlerai un peu plus bas). Et, le pire dans tout ça, c'est que les chèvres ne sont arrivées qu’il y a deux ans, ce qui est (paraît-il) un signe extrême de retard...

 

Et me voilà débarquant, seul Blanc accompagné de quatre piroguiers et autant de maçons, dans ce petit village, pour y rester une quinzaine de jours… Parmi les Congolais venus avec moi, un seul me comprenait et réciproquement. Et, dans le village, j’ai pu trouver l’infirmier et l’instituteur pouvant correspondre en français et en dialecte (dont j’ai oublié le nom).

 

Pour ce qui est de l’organisation du village, elle est assez simple : il y a un chef de village (arrivé à ce poste car sa famille a été la première sur le site), des conseillers, un centre de santé (maison de quatre pièces en torchis avec un toit de paille qui laisse passer beaucoup d’eau), une école de cinq pièces de 24 m2 chacune pour 200 élèves en tout (et un professeur !!!!) et les maisons des villageois disposées le long de la rive.

 

Concernant le rythme de vie, il est adapté au rythme du soleil, de la pluie et du lac. Les pêcheurs partent à la nuit tombante (vers 17 h 30) pour revenir au lever du soleil vers 4 h. Les femmes récupèrent alors le poisson et le fument dans la journée (de 4 h à 17 h), tout en s’occupant des enfants, en faisant la cuisine et le ménage. Enfin, les personnes les plus influentes dans une famille sont les tantes (les sœurs des parents) et, quand on se fâche avec l'une d'elle, il faut lui offrir 4 poules et 4 canards pour s'excuser. Je vais essayer ça à mon retour pour voir si ça marche !

 

Pour moi, la vie fut assez simple à organiser : travailler pendant la journée, les cinq premiers soirs à dormir sur la pirogue (uniquement les cinq premières nuit car la pirogue servait également de garde-manger vivant). Les piroguiers avaient la fâcheuse manie de stocker les poules et canards, qu’ils avaient achetés, juste en-dessous de l’espace que je m’étais aménagé pour dormir ; et, à partir de 4h du matin, j’avais le droit au chant du coq à 15 centimètres de mon oreille, pendant plus de deux heures, le rêve… Quand ce n’était pas le coq, c’était les canards qui se tapaient dessus, ou les poules qui appelaient leurs poussins toute la nuit… Le plus vicieux dans tous ça, c’est qu’en me couchant il n’y avait rien !!! Le reste des nuits fut un zigzag constant avec mon matelas entre la belle étoile, puis, dès que la pluie arrivait, la pièce servant de pouponnière (seul endroit où j’avais pu trouver une place où le toit ne fuyait qu’à moitié, mais où les pleurs des bébés remplaçaient aisément les cris des coqs) et un abri que je m’étais construit, utilisable uniquement s’il n’y avait pas de vent, sinon le toit s’envolait.

 

Enfin, les Africains ont un sens du sommeil qui me dépasse. Chaque soir, après m’être endormi, ils venaient me secouer pour me demander si je dormais bien ou trouvaient très agréable de venir veiller à côté de mon matelas pour discuter et écouter la radio qui captait des émissions tanzaniennes (la Tanzanie étant située sur la rive en face, à 60 kilomètres).

 

Pour les repas, ils ont eu pitié de moi dès qu’ils ont vu mon premier plat. Ils m’ont d’abord regardé ainsi que ma casserole avec des yeux hagards, ont ensuite beaucoup ri entre eux en désignant du doigt mon plat (j’avais essayé de faire du poisson que j’avais acheté) et m’ont invité à manger le Boukali (leur plat), qui fut mon plat midi et soir pendant ma présence à Kiku. Le Boukali, c’est de la farine de Manioc d’un côté, accompagné de poisson, poulet, canard ou haricot, et, le moins qu’on puisse dire, c’est que ça colle au ventre !

 

Pour communiquer, j’ai réappris la langue des signes et, comme tout le monde faisait un effort, on a réussi à avancer. Le soir, lors des veillés autour du repas, on discutait sans se comprendre mais au moins on riait bien. Et ils ont une telle joie de vivre que je pouvais faire mes blagues dix fois de suite (et pourtant elles sont nulles), ça les faisait toujours autant rire. Pour une fois que j'avais un auditoire compréhensif.

 

Pour les enfants et quelques adultes, le fait que je sois Blanc était une erreur de la nature (chose étonnante, il n’y avait pas d’albinos dans ce village), et certains adultes frottaient ma peau pour comprendre, tandis que je faisais peur aux enfants en bas âge qui partaient en hurlant dès qu’ils me voyaient arriver.

 

Côté un peu moins glorieux des choses, on a du mal à savoir comment les gens vont pouvoir avancer et couper court à leurs problèmes. Les femmes ne savent ni lire, ni écrire, les hommes guère plus, le sida est pour eux une nouvelle technologie et certainement pas une maladie, le choléra est omniprésent et la moyenne d’âge est de 45 ans. Je ne compte pas les décès d’enfants ou de mère pendant les accouchements, qui sont des choses courantes. Les enfants n’ont aucun avenir si ce n’est de pêcher et, pour ceux qui « partent à la ville », soit ils reviennent effrayés au bout de quelques mois, soit ils ne reviennent jamais et se font exploiter dans des mines ou autres… Comme partout au Congo, ce sont des oubliés du gouvernement. L’instituteur travaille gratuitement depuis 5 ans, idem pour l’infirmier, et ils ne doivent leur survie qu’aux  « petits trafics » qu’ils font. Par contre, ils se donnent à fond dans leur travail en espérant qu’un jour le gouvernement jouera enfin son rôle.

 

Quand je vous parlais du cinéma, c’est peut-être la seule chose qui leur fait dire qu’un autre monde les entoure. Il s’agit d’un poste de télé de 26 centimètres datant d’au moins 1980, un magnétoscope tout aussi récent et de VHS de feuilletons africains ou de films de karaté. Personne n’y comprend rien mais tout le monde participe avec les images, et les entendre hurler, rire et échanger avec le film est un moment de bonheur incroyable. Ça se passe tous les soirs à 20 h 30, sous d’immenses bâches tendues entre deux maison, on paie 100 FC l’entrée (0,2 $) ou dix poissons fumés, et c’est parti pour une séance de folie. Même s’ils ne comprennent pas les objets qu’ils voient (des routes, des feux rouges, des immeubles…), ils adorent ca !!!!

 

Quant au retour sur Moba, une barquette quittant Kiku pour aller à la ville est toujours un moyen de transmettre des lettres, déplacer des personnes qui veulent partir ou envoyer des marchandises et colis à ceux qui ont quitté la communauté. Nous sommes donc repartis avec une dizaine de personnes (des malades, des accompagnants, le chef du village...), le triple en poule, coq, canard et chèvres, des sacs de maniocs à ne savoir qu'en faire, des trucs dont je cherche encore l'usage, j'en passe et des meilleures... Un vrai capharnaüm qu'il a fallu attacher, loger, abriter car, en plus, le lac était agité. La barquette ressemblait plus à un marché ambulant qu'à autre chose. Et, pendant tout le trajet, il a fallu compter sur les commérages en tous genres, les hurlements des animaux, les chants, rire et plaintes des malades. Au bout de douze heures, je crois que je ne connaissais même plus mon nom.

 

Pour terminer sur un point politique, j’ai enfin compris une des principales raisons qui font que le pays n’avance pas et n’est pas près d’avancer. Les politiciens du Congo sont tous extrêmement riches car ils gardent les fortunes du pays pour leur usage personnel ; et le peu d’actions gouvernementales devant servir au pays est tout de suite enrayé par les opposants au gouvernement pour leur permettre de dire que ce même gouvernement ne fait pas son travail et qu’un coup  d’état est nécessaire pour changer tout ça… Bref, ils se tirent tous dans les pattes sans se soucier de la population qui, finalement, ne leurs sert à rien à part d’otage pour bénéficier du pouvoir.

 

Il y a encore tellement de choses à dire sur ce que j’ai appris et compris à Kiku que dix mails ne suffiraient pas et que, par écrit, il y a des émotions que je ne pourrais faire passer. Alors j’en parlerai à mon retour pour ceux que ça intéresse.

 

Phrases usuelles d’au revoir qu’on met à la fin d’un mail.

 

L’Abeille



08/04/2008
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