L'Abeille

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RDC – 7 – 3 mai 2008

Bonjour tout le monde,

 

Des petites nouvelles fraîches du Congo, où la vie se déroule sans accroc mais avec son lot quotidien d’anecdotes et de découvertes. Ces nouvelles seront peut-être un peu moins gaies que les autres mais elles donneront une idée un peu plus concrète du Congo et des Congolais. Une fois de plus, il ne s’agit que d’impressions personnelles, et ce qui est vrai pour moi ne le sera peut-être pas pour d’autres.

 

Après quelques jours de vacances passés en Afrique du Sud, on prend vraiment conscience du décalage qu’il peut y avoir entre un pays tel que le Congo et son riche voisin qu’est l’ancienne nation de l’apartheid. Ce « choc » n’intervient pas (bizarrement) à l’aller mais au retour. En débarquant en Afrique du Sud, je me suis retrouvé à m‘étonner moi-même de la taille des avions et de leur confort, du fait qu’il y avait des passerelles pour embarquer, qu’on n’était pas obligé d’aller chercher soi-même son bagage dans la soute de l’avion et que les douaniers disposaient d’ordinateurs pour contrôler les passeports et non de cahiers de 48 pages à petits carreaux.

 

Mais le retour fut un électrochoc, car on réalise à quel point le décalage est immense entre ces deux pays. Et ça ne tient pas à la richesse ou aux infrastructures du pays mais uniquement à la mentalité et à l’éducation, distillée au fur et à mesure des années. Car, si en pays zoulou, beaucoup de personnes sont encore illettrées et que le taux de chômage est impressionnant, ils ont appris à anticiper, à avoir une vision d’avenir, à faire attention aux ressources de leur pays et à les développer. En République Démocratique du Congo, c’est l’inverse qui se produit. L’éducation n’apporte rien aux enfants (je ne tiens pas compte des cas particuliers) et on observe une population qui est tirée vers le bas et un pays qui se désagrège de plus en plus. Les développements ne sont envisagés qu’à très court terme et l’on apprend aux enfants à attendre qu’on leur apporte les choses dont ils peuvent avoir besoin plutôt que d’aller les chercher eux-mêmes. À Goma, il y a eu des manifestations et grèves car les habitants voulaient que les humanitaires donnent plus que ce qu’ils faisaient déjà.

 

Pourtant ce sont de vraies forces de la nature, capables de travailler comme je l’ai rarement vu, mais qui ne sont cantonnées qu’à des activités manuelles, faute de formation. Les politiques ne veulent pas investir dans leur pays et préfèrent garder les richesses pour eux en confiant les ressources (minières principalement) à des sociétés étrangères pour éviter un enrichissement du peuple et donc la possibilité de voir des élites arriver et prendre leur place. Et, quand quelques initiatives sont prises, elles tombent à l’eau tout aussi rapidement.

 

Exemple : quand je vous parlais d’ordinateurs à la douane sud-africaine, à mon retour au Congo, ma surprise a été immense quand j’ai constaté que, pendant mon absence, la douane congolaise en avait fait de même en installant des machines flambant neuves, dans le but de contrôler les flux migratoires. Je tends mon passeport à l’officier qui me dit fièrement que ça va aller beaucoup plus vite qu’avant. Il commence à tripoter son clavier avec un doigt et, au bout de quinze minutes (montre en main), il finit par taper mon numéro de passeport, nom et prénom. Et, d’un seul coup, c’est la panique ! Je devine des perles de sueur qui naissent sur son front, des yeux qui ne savent plus quel coin de l’écran regarder et des doigts (ou plutôt un doigt) qui ne se synchronisent plus sur le clavier. Il reste dans cet état de transe pendant plus de cinq minutes et je finis par lui demander ce qui se passe. Il ne me répond pas et file chercher son supérieur, qui lui-même après cinq minutes appelle encore un supérieur, et ainsi de suite jusqu’à avoir sept personnes autour de l’écran, ne sachant pas se sortir d’une situation dont je ne connais même pas la teneur… Trente minutes après le début de mon passage, ils finissent par se séparer les uns des autres et je vois mon petit douanier, tout penaud qui ressort son cahier de 48 pages pour inscrire mon passage, en laissant de côté le nouveau joujou. J’attends mon prochain départ pour savoir s’ils ont réparé ou tout simplement été formés.

 

À Lubumbashi, c’est la saison sèche qui vient de prendre le dessus sur la saison des pluies. L’humidité et la boue ont fait place à la poussière et à un air sec et froid. Dès que la nuit arrive, la température tombe sous les 10 degrés (faisant sortir un lot de bonnets inimaginables) mais passe facilement les 28 degrés dans la journée. Les épidémies de choléra disparaissant, les ONG chargées de ces programmes quittent la ville aussi rapidement qu’elles sont venues (et qu’elles reviendront), en ne laissant sur place que des vestiges de sites qui seront dépouillés par la population et réutilisés pour des constructions ou réhabilitation à venir. On n’arrose plus les plantes mais le sol, pour diminuer la propagation de la poussière et, le matin, vers 6 h, on assiste à un spectacle digne de Fantasia, où tous les habitants éparpillent de l’eau sur le sol des rues, tandis que les enfants se chargent d’humidifier le maximum de surface possible avec de la paille séchée.

 

Cette même saison sèche permet à nouveau la circulation de certains camions apportant des marchandises bloquées depuis six mois pour la plus grande joie de tous. Dans la rue, on observe de multiples objets sur la tête des Congolais aussi divers que variés. Les élèves vont chercher pendant les cours leurs nouvelles tables et chaises et on voit, s’étirant sur plusieurs centaines de mètres, un véritable serpent de mobilier scolaire déambulant dans les rues pour terminer sa course dans la cour d’une école.  

 

Un tout nouveau type de mobilier urbain vient de faire son apparition en ville : des tourelles d'un mètre de haut, équipées d'un chapeau pointu aux couleurs d'un sponsor local, pouvant recevoir en leur sein une personne et ouvert des quatre côtés. Celles-ci sont situées au centre des carrefours et permettent aux policiers de faire la circulation, tout en étant « mieux vu » et « mieux protégé ». Inconvénient : les autorités ont oublié de sceller les structures et on aperçoit de vrais défilés de cahuttes renversées par des camions qui les ont oubliées, des voitures qui les poussent jusqu'à l'autre bout du carrefour pour pouvoir eux-mêmes se frayer un passage, des planchers qui s'écroulent quand les policiers sont à l'intérieur et, dès que les fonctionnaires ont le dos tourné, on voit ces cahuttes se déplacer « toutes seules » grâce à des personnes les utilisant comme étalage pour vendre leurs fruits en hauteur, mais surtout pour servir de chaire dans le but de convaincre quelques fidèles que l'église où ils pratiquent est la meilleure. C'est un peu comme si en France les curés s'installaient en pleine rue sur des minis miradors estampillés « SIMBA » (bière locale) ou « lessive Lecoq » et faisaient la promotion de leurs lieux de culte au milieu des artères les plus commerçantes.

 

Le 1er mai est ici une réelle fête nationale. La population en liesse se retrouve le long de l’artère principale, où déambulent par dizaines de milliers tous les travailleurs de la région, arborant fièrement leurs tenues de travail journalières. Les bottes en plastiques ont été lavées et cirées, les bleus de travail « repeints » pour certains, les casques de chantier lustrés et les véhicules nettoyés de fond en comble. Et, malgré un bazar inimaginable dans les rues adjacentes où l’on se bat, se dispute une place, recherche un collègue…, tout ce petit monde se retrouve à marcher au pas, la tête haute et à ne surtout pas sourire. On a même eu droit aux énormes camions miniers qui ont fait sensation en roulant sur une voiture qui avait été malencontreusement oubliée dans la rue.

 

Chose très curieuse que je n’ai pas encore élucidée : de temps de temps, je vois passer des véhicules équipés de chaînes (celles qu'on met pour aller au ski). J’ai déjà du mal à savoir où trouver un revendeur de produits automobiles pour la montagne, alors, quand la seule explication que j’entends est que « ça fait joli », je me dis que je n’ai pas encore compris grand-chose à l’esthétisme local !

 

Dans la série des superstitions dont je vous ai déjà parlées, il y a quelques jours, le frère d’un de mes gardiens est mort d’une plaie à la jambe qui s’est infectée. Pour eux, ce qui l’a emporté n’est nullement la maladie mais un ensorcellement jeté par des familles ennemies qui voulaient se venger. Personne ne sait de quoi ils voulaient se venger mais tout le monde y croit ! Avantage des enterrements (comme je vous l’ai déjà expliqué) : ça ressemble plus à une grosse fête qu’à une réception triste comme nous savons si bien le faire sur notre vieux continent.

 

À bientôt,

 

L’Abeille



03/05/2008
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